lundi 17 novembre 2008

Le monument perdu et… retrouvé de la «Fronde»

La mort de cinq marins français du contre-torpilleur «Fronde», lors du typhon du 18 septembre 1906, provoque un profond émoi à Hong Kong mais aussi en Indochine française. En 1908, un monument est érigé à Kowloon à la mémoire des marins disparus, sur souscription des populations européennes des deux colonies britannique et française. Après avoir été longtemps un point de repère familier du paysage urbain de Hong Kong, le monument de la «Fronde» disparaît dans les années 60 et son souvenir s’efface alors des mémoires… jusqu’à ce qu’il soit retrouvé, 100 ans après son inauguration!
Le typhon qui frappe Hong Kong le 18 septembre 1906 survient deux ans après la signature de l’Entente Cordiale, en pleine période d’amitié franco-britannique. La disparition de cinq officiers-mariniers et matelots du contre-torpilleur «Fronde» marque alors fortement les esprits au sein de la communauté britannique de Hong Kong, sans doute plus que les 10000 victimes chinoises de cette catastrophe… Mais le drame émeut également la population française d’Indochine. Hong Kong et l’Indochine française maintiennent en effet à l’époque des relations étroites, financières et commerciales, et le trafic maritime entre les deux colonies est intense. En outre, les bâtiments de guerre français de la Division Navale d’Extrême-Orient (DNEO) relâchent souvent dans les ports des deux colonies.
Dans les mois qui suivent le typhon, un mouvement de solidarité se fait jour à Hong Kong et à Saigon pour lancer une souscription ayant pour but d’ériger à Hong Kong un monument commémorant la disparition des cinq marins français. Le monument, connu à Hong Kong sous le nom de «Fronde Memorial», est inauguré en grande pompe le 14 mai 1908 à King’s Park, à Kowloon, en présence des plus hautes autorités britanniques et françaises. Dans une dépêche du 20 mai 1908, le Consul de France de l’époque, Gaston Liebert, rend compte de cette cérémonie, «épilogue du typhon qui a dévasté Hong Kong».
Le monument de la «Fronde», «obélisque en granit brut, posé sur un socle cubique portant les noms des victimes» est d’une «hauteur totale d’environ 10 mètres». Il a été «élevé à frais communs par la colonie de Hong Kong et la municipalité de Saigon (et) a coûté environ 6000 francs». Gaston Liebert précise que, «le Gouverneur de Hong Kong, Sir Frederick Lugard, s’était mis d’accord avec moi pour donner à cette cérémonie le caractère de solennité et de gravité que comportait la circonstance». Le Gouverneur britannique et le Consul de France prononcent donc tous deux un discours «empreint de bonne et sincère entente entre les deux pays et leur colonies d’Extrême-Orient». Tous les «corps constitués de la colonie britannique sont présents, ainsi que les consuls étrangers, des délégations d’officiers des navires de guerre et des régiments anglais, 100 matelots de l’escadre anglaise et 80 matelots de nos navires «Alger» et «Argus», présents sur rade, ainsi que des membres de la colonie française, groupée autour de son consul». Le journal Hong Kong Telegraph du 15 mai 1908 note aussi, entre autres personnalités, la présence de l’évêque de Hong Kong, Mgr. Pozzani, de Sir Paul Chater, figure célèbre de Hong Kong, du Père Brun, responsable de la Procure des Missions Etrangères de Paris, des commandants du croiseur français «Alger» et de la canonnière «Argus» et surtout de Mademoiselle Marel, fille du Gouverneur français du Tonkin. C’est cette dernière qui est invitée, au nom de l’amitié franco-britannique et des liens étroits entre les colonies de Hong Kong et d’Indochine, à tirer sur les cordes qui dévoilent aux yeux de l’assemblée le monument commémoratif. Après cette inauguration du monument, le journal mentionne les sonneries aux morts jouées par un trompette anglais (the Last call) du «Middlesex Regiment» et par un marin du croiseur «Alger». Pour le Hong Kong Telegraph, la Marseillaise et le God Save the King closent la cérémonie de manière et solennelle et émouvante, en particulier pour les Français présents, dont «les cœurs vibrent au son» de l’hymne national.
Pendant une cinquantaine d’années, le «Fronde Memorial» est un lieu très familier de Kowloon, à l’intersection des rues Gascoigne et Jordan. Les bus qui partent de Tsim Sha Tsui et se dirigent vers le nord s’arrêtent au niveau de l’obélisque, à l’arrêt de bus justement dénommé… «Monument». Mais nous sommes à Hong Kong, ville où le paysage urbain est en perpétuelle évolution. Et, une cinquantaine d’années après son inauguration, le mémorial de la «Fronde» doit être déménagé de son site afin de permettre l’élargissement des deux rues au croisement desquelles il est implanté.
L’obélisque disparaît ainsi de son emplacement initial dans les années 60, sans que, semble-t-il, les autorités françaises et le Consulat général de France à Hong Kong en aient été avisés. C’est en 2008, à l’occasion des célébrations des 160 ans de présence française à Hong Kong et de la préparation de l’exposition sur les relations maritimes entre Hong Kong et la France, que des recherches sont entreprises pour retrouver le monument de la «Fronde» à King’s Park. Peine perdue! Le parc et les rues adjacentes ont fait l’objet de profondes transformations au cours des précédentes décennies. Heureusement, la qualité du service des archives historiques du Gouvernment de Hong Kong permet assez vite de retrouver la trace du mémorial disparu de la «Fronde». Après son enlèvement du site de Kowloon dans les années 60, l’obélisque de granit est en effet transféré sur l’île de Hong Kong, au sein du cimetière de Happy Valley, où il est actuellement visible, dans le même état que le jour de son inauguration, il y a exactement 100 ans. On peut y lire l’inscription, en français et en anglais: «A la mémoire des Jean Bonny, Charles Meuric, René Derrien, seconds maîtres, Narcisse Bertho, Joseph Nicolas, quartiers-maîtres, du contre-torpilleur «Fronde», disparus à Hong Kong dans le typhon du 18 septembre 1906».

CR.

Sources : Archives du ministère des Affaires étrangères, Nantes - Hong Kong Telegraph, 15 mai 1908 - Prominent Figures in the Hong Kong Cemetrey at Happy Valley, Dr Joseph Tsing, Hong Kong Institute of Contemporary Culture, 2008.
Crédits photographques : HKMM.

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