lundi 15 septembre 2008

La «Jeanne d’Arc» à Hong Kong

Parmi les navires de la Marine Nationale qui, depuis plus de 160 ans font escale à Hong Kong, un navire occupe une place particulière dans le cœur des Français : la «Jeanne d’Arc», navire-école des officiers-élèves de l’Ecole Navale. Depuis 1933, deux bâtiments ayant porté ce nom ont mouillé à plusieurs reprises à Hong Kong et ces escales ont laissé des souvenirs très forts chez les marins.
Depuis 1912, il est de tradition dans la Marine Nationale de baptiser du nom de «Jeanne d’Arc» le navire-école servant d’école d’application aux officiers-élèves de l’Ecole Navale. La campagne d’application consiste en une navigation de plusieurs mois, ponctuée de plusieurs dizaines d’escales et chacune constitue un événement fort, tant pour l’équipage du navire que pour la population et la communauté française du port visité. Le navire est en effet un véritable ambassadeur de la Marine Nationale mais aussi de la France. «La Jeanne», comme est surnommée affectueusement le navire dans la Marine, a fait escale à Hong Kong à plusieurs reprises, de 1933 à 1992.
La première «Jeanne d’Arc» ayant mouillé à Hong Kong, c’est l’élégant croiseur-école mis en service en 1931. Le navire, d’un déplacement de 6500 tonnes et long de 170 m, embarque 150 élèves (qui dorment dans des hamacs) et plus de 500 officiers, officiers-mariniers et marins. La première campagne 1931-1932 se déroule en Amérique du sud et ne passe pas par l’Asie. En revanche, du 6 au 10 mars 1933, le croiseur-école fait escale pour la première fois à Hong Kong, escale annoncée au Consul de France par dépêche dès le 8 juin 1932! Immobilisé aux Antilles pendant le deuxième conflit mondial, le navire reprend ses campagnes après guerre et passe à Hong Kong à plusieurs reprises. Sa dernière escale dans le port de Victoria, lors de son avant-dernière campagne de 1962-1963, marque agréablement les marins. Après avoir quitté Kobé, le croiseur affronte en effet en mer du Japon une violente tempête qui endommage gravement son arbre d’hélice. La «Jeanne» doit donc effectuer des réparations à Hong Kong et entre en carénage à Kowloon, à la grande satisfaction de l’équipage qui voit son séjour à Hong Kong durer plus de deux semaines!
En 1964, après trente-trois ans de service, le croiseur est désarmé et est remplacé par un navire moderne au dessin original, croiseur porte-hélicoptères long de 181m et déplaçant 10500 tonnes. Le bâtiment est doté d’un pont d’envol et d’un vaste hangar pour abriter ses hélicoptères. Ces caractéristiques offrent à la nouvelle «Jeanne d’Arc» des capacités de réception à bord qui font l’émerveillement et la joie des centaines d’invités qui participent aux cocktails traditionnels donnés à chaque escale. Depuis 1964, la deuxième « Jeanne » fait escale à huit reprises à Hong Kong, lors des campagnes 65-66, 69-70, 73-74, 76-77, 80-81, 84-85, 87-88 et enfin 91-92. Pour l’équipage, l’escale de Hong Kong revêt un charme particulier, teinté d’exotisme, de contrastes et de mystère. Les récits de voyages, les souvenirs d’escales et les témoignages des marins reflètent le caractère mythique du séjour à Hong Kong. En 1965, pour la première escale à Hong Kong du nouveau navire-école, la «Jeanne d’Arc» y passe Noël et jour de l’An et un officier-marinier se souvient : «après Manille et ses 30°, nous accostons à Hong Kong six jours après, avec une température proche de 0°. [...] Nous parcourons la ville sur des pousse-pousses et prenons le tram jusqu’au sommet du Peak où une vue époustouflante s’offre à nous, sous un ciel bleu pur». Un marin évoque sa visite à Hong Kong en 1973 : «une escale atypique pour l'époque, la rencontre entre une ville ultra moderne (buildings nombreux commerces) et la vieille Chine traditionnelle, deux mondes très différents se côtoyant». Un officier-élève, en escale en 1978, se rappelle «des centaines de sampans à bord desquels des familles entières vivaient, dormaient et mangeaient».
Jusqu’aux années 80, l’escale à Hong Kong est aussi l’occasion pour les marins de découvrir avec étonnement une institution très célèbre du port, en particulier au sein des marines militaires occidentales : les services de la compagnie «Jenny Side Party» que les marins français appellent souvent «Suzie Wong», en référence au célèbre roman de Richard Mason et au fait que certaines ouvrières de la compagnie se font appeler «Suzie». En échange de la récupération de tout ce dont les navires se débarrassent lors de l’escale de Hong Kong, bouteilles, bidons, papiers, métaux, emballages, etc., les ouvrières chinoises de «Jenny Side Party» décapent les coques des navires et les repeignent en gris, en quelques jours, à l’aide «de rouleaux de peinture fixés au bout de longs bambous», comme se souvient un officier-élève de 1977, maintenant amiral. Les marins apprécient particulièrement ce service rapide et bon marché qui les affranchit d’une corvée incontournable. Un officier mariner raconte : «De Singapour, où nous sommes restés cinq jours, nous sommes partis pour Hong Kong. La traversée fut dure car nous avons ramassé une queue de typhon en Mer de Chine. Nous avons été secoués pendant quatre jours de rang. A notre arrivée à Hong Kong, le bateau n'était pas beau à voir mais l'équipe nous a remis le bateau à neuf en peu de temps. […] Pour pouvoir prendre nos déchets de bouche (poubelle de table) une trentaine de chinoises sont montées à bord et en six jours d'escale, ont repeint le bateau de la ligne de flottaison jusqu'en haut du mat. Grâce à leur récupération, elles faisaient vivre tout un village sur l'eau. A notre départ, juchées sur leurs esquifs, elles nous ont offert un feu d'artifice. J'en rêve encore».
La dernière escale de la «Jeanne d’Arc» remonte à plus de quinze ans. Après plus de quarante ans de bons et loyaux services, le navire-école sera désarmé en 2010 mais son remplacement n’est pas programmé pour l’instant. Hong Kong et sa communauté française ne verront donc sans doute plus d’escale de la «Jeanne d’Arc»...
CR.
Sources: témoignages divers. Crédits photographiques : Georges Béhague (1) - Marine Nationale (2) - HKMM (3).

2 commentaires:

Alain a dit…

J'avais 15 ans lorsque le navire école a fait escale à Hong-Kong. Deux ou trois souvenirs demeurent gravés dans ma mémoire.
Celui du jeune lieutenant décrivant la tempête après de le départ de Kobé. "Il y avait, disait-il, des creux de 20 à 30 mètres". Je n'avais aucune idée de ce que cela pouvait représenter, mais cela m'impressionnait fort.
Le navire avait à son bord un marin qui était peintre. Il exposait ses toîles sur la traversée de la Jeanne à l'Alliance française. Je me souviens que ses peintures étaient faites de traits verticaux. Il était devenu mon ami. Le prix de ses toîles me paraissaient très abordable. Je voulais que mes parents les achète. Ils ne voulaient pas. Son nom était Bernard Buffet. J'avais retrouvé le nom du peintre dans une encyclopédie. J'insistai auprès de mes parents. Ils prétendaient que ce n'était qu'un pseudonyme.
Le Commandant de la Jeanne d'Arc avait donné un dîner en plein air, sur le pont du navire. J'avais été chargé d'une mission par mon ami André Chen, qui était épris de Dalida. Il savait que la grande chanteuse, qui tournait un film à Hong-Kong à ce moment, serait invitée. Elle était là en effet, tout en rouge. J'ai pris mon courage à deux mains. Suis allé à sa table. Elle était assise à la droite du Commandant. Je lui ai demandé une dédicace. Sur la pochette du 45 tours, elle a écrit : "Amicale pensée de Dalida". C'était merveilleux ! André en a été ravi.
Puis la Jeanne est repartie. C'était son dernier voyage.

Naoiérala a dit…

Petite précision:
Nous avions perdu l'hélice entre Callao(Port de Lima au Pérou)le 08/12/1962.
Nous avions été marqué par un "évènement de mer" le 04/02/1963
entre Honolulu et Tokyo.
3 vagues de 15 à 20 mètres.