Dans l’entre-deux guerres, Rolande Sarrault tient une boutique de vêtements. Elle vend des articles de mode et de la mercerie… Un petit commerce anodin qui n’aurait jamais suscité d’intérêt particulier s’il ne révélait pas, aujourd’hui, un aspect très discret de la présence française à Hong Kong : la vie des membres les plus modestes de la communauté, loin des diplomates et des grands entrepreneurs.
Venue à Hong Kong avec son mari au tout début des années 1920, Rolande Sarrault établit une mercerie française qui devient rapidement une boutique de prêt-à-porter. Elle divorce et son mari repart vers d’autres horizons ; Rolande Sarrault décide de rester. A priori très bien intégrée dans la colonie britannique, elle obtient même la naturalisation en prêtant serment d’allégeance à la couronne le 15 juillet 1938.C’est le sujet d’un premier échange de courrier avec le Consulat de France. Le diplomate du quai d’Orsay réclame, en conséquence de ce changement de nationalité, le retour du passeport français. Elle refuse. Rolande Sarrault affirme qu’elle a fait ce choix «en vue d’obtenir une protection qui m’était sévèrement nécessaire dans cette colonie» et ajoute en des termes plus sybillins, «et aussi pour les besoins d’une cause que je croyais nécessaire également» ; mais elle n’entend pas abandonner totalement ses prérogatives de françaises arguant du fait qu’il faut une «permission spéciale» pour tout Français «voulant s’éloigner de sa nationalité. Ceci, je ne l’ai pas fait». Le Consul paraît intrigué par cette loi sortie du chapeau de la couturière et trace un gros point d’interrogation dans la marge. L’affaire s’arrête là.
Rolande Sarrault n’aurait pas occupé davantage de place dans les archives du Consulat si elle n’avait pas été mêlée à une autre histoire un peu plus alambiquée. En avril 1939, elle prétend être l’héritière de Lady Chater… une célébrité de l’époque au sujet de laquelle les légendes sont nombreuses ! Suédoise d’origine, elle serait venue à Hong Kong pour se marier à un homme de bonne famille, mais à son arrivée sur l’île, le futur époux aurait disparu. Elle est très probablement devenue pensionnaire d’une maison close d’Hollywood road, avant d’être repérée par l’influent et riche Sir Catchick Paul Chater, accessoirement membre du gouvernement. Une romance fort mal vue dans la bonne société anglaise... Même après leur mariage en 1910, leur idylle ne cesse de défrayer la chronique hongkongaise. Lady Chater meurt en 1935, moins de dix ans après son mari. Ses dispositions testamentaires sont multiples mais il semble que, pour une large part de l’héritage, elle ait laissé toute liberté à l’administrateur testamentaire (Trustees Deacons).
D’un étrange manière, Rolande Sarrault pense avoir sa part. On peut supposer, à la lecture des archives, que toute l’histoire lui est soufflée par une seule personne. Le trublion de cette affaire s’appelle Francis Vetch. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce poil à gratter de la communauté française, dont l’image est bien loin de celle des bâtisseurs d’empire coloniaux, des grands entrepreneurs des tropiques. Francis Vetch s’est perdu à Hong Kong au gré de sa vie tourmentée et ne peut tout simplement pas repartir, faute d’argent. Il a en revanche de l’éducation et une plume facile et colorée, qu’il met cette fois au service de Rolande Sarrault.
Dès le 28 avril 1939, il harangue le Consul de France dans une lettre truffée d’allégations douteuses, et somme le diplomate de faire verser par les Trustees Deacons les deux millions de dollars qui sont dus à Rolande Sarrault. Une enquête est diligentée ; les premiers doutes apparaissent avec les problèmes d’identité de Rolande Sarrault. Elle s’appelle en fait Rose Roinel. Changer de nom est chose facile à l’époque, surtout lorsque l’on part à l’autre bout du monde. Mais pourquoi ? Mystère.
Quoiqu’il en soit, la mercière entre dans la combinaison de Francis Vetch et harcèle le Consul. Celui-ci se plaint de ses fréquentes visites et supplie le Secrétaire colonial de régler cette affaire. Le directeur de la banque d’Indochine, où un compte est censé attendre l’héritage, qualifie cette histoire de «fantasmagorique». Un avocat d’Indochine, nommé Garnier, prétend avoir la preuve du bon droit de Rolande Sarrault, mais ne la montre jamais, tandis qu’une certaine Madame de Courseulle se flatte qu’une part de l’héritage doit également lui revenir. Pendant quelques mois, «la succession Chater» est un feuilleton de prétentions rocambolesques.
Les courriers fumants et fumeux de Francis Vetch se multiplient. Tantôt il recommande de régler l’affaire à l’amiable, entre Français, tantôt il se dit prêt à saisir les plus hautes autorités britanniques. Il adresse de formelles protestations aux notaires et les accuse de détournement. Il invective le Secrétaire colonial en personne et se plaint que Madame Sarrault soit considérée «comme une femme du commun, sans défense, facile à dépouiller de son bien». Et de partir dans une diatribe illuminée : « Tout au contraire, Madame Sarrault appartient à une famille très honorable de Bretagne avec cette particularité qu’elle est la nièce du Cardinal Saint-Marc, archevêque de Rennes, une notabilité dans l’épiscopat de France, fondateur de ces Petites sœurs des pauvres que vous voyez quêter dans les rues de Hong Kong. En ce qui me concerne, je suis le neveu de Joseph de Villèle, ministre de Louis XVIII et de Charles X. C’est vous dire que ni Madame Sarrault ni moi nous ne courrons après des héritages et que nous nous tenons à l’écart des hommes d’affaires véreux». L’aplomb est à couper le souffle et confine à l’ironie.
Les dernières salves épistolaires ont lieu pendant l’été 1939. Les traces de Rolande Sarrault et de son prétendu héritage se perdent dans les affres de la guerre. Son nom n’apparaît plus à la libération de Hong Kong.
Sources : Archives du Ministère des Affaires Etrangères, Nantes ; http://www.chater-genealogy.com/. Crédits photographiques : Hong Kong records office ; Archives du Ministère des Affaires Etrangères, Nantes.
Venue à Hong Kong avec son mari au tout début des années 1920, Rolande Sarrault établit une mercerie française qui devient rapidement une boutique de prêt-à-porter. Elle divorce et son mari repart vers d’autres horizons ; Rolande Sarrault décide de rester. A priori très bien intégrée dans la colonie britannique, elle obtient même la naturalisation en prêtant serment d’allégeance à la couronne le 15 juillet 1938.C’est le sujet d’un premier échange de courrier avec le Consulat de France. Le diplomate du quai d’Orsay réclame, en conséquence de ce changement de nationalité, le retour du passeport français. Elle refuse. Rolande Sarrault affirme qu’elle a fait ce choix «en vue d’obtenir une protection qui m’était sévèrement nécessaire dans cette colonie» et ajoute en des termes plus sybillins, «et aussi pour les besoins d’une cause que je croyais nécessaire également» ; mais elle n’entend pas abandonner totalement ses prérogatives de françaises arguant du fait qu’il faut une «permission spéciale» pour tout Français «voulant s’éloigner de sa nationalité. Ceci, je ne l’ai pas fait». Le Consul paraît intrigué par cette loi sortie du chapeau de la couturière et trace un gros point d’interrogation dans la marge. L’affaire s’arrête là.
Rolande Sarrault n’aurait pas occupé davantage de place dans les archives du Consulat si elle n’avait pas été mêlée à une autre histoire un peu plus alambiquée. En avril 1939, elle prétend être l’héritière de Lady Chater… une célébrité de l’époque au sujet de laquelle les légendes sont nombreuses ! Suédoise d’origine, elle serait venue à Hong Kong pour se marier à un homme de bonne famille, mais à son arrivée sur l’île, le futur époux aurait disparu. Elle est très probablement devenue pensionnaire d’une maison close d’Hollywood road, avant d’être repérée par l’influent et riche Sir Catchick Paul Chater, accessoirement membre du gouvernement. Une romance fort mal vue dans la bonne société anglaise... Même après leur mariage en 1910, leur idylle ne cesse de défrayer la chronique hongkongaise. Lady Chater meurt en 1935, moins de dix ans après son mari. Ses dispositions testamentaires sont multiples mais il semble que, pour une large part de l’héritage, elle ait laissé toute liberté à l’administrateur testamentaire (Trustees Deacons).
D’un étrange manière, Rolande Sarrault pense avoir sa part. On peut supposer, à la lecture des archives, que toute l’histoire lui est soufflée par une seule personne. Le trublion de cette affaire s’appelle Francis Vetch. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce poil à gratter de la communauté française, dont l’image est bien loin de celle des bâtisseurs d’empire coloniaux, des grands entrepreneurs des tropiques. Francis Vetch s’est perdu à Hong Kong au gré de sa vie tourmentée et ne peut tout simplement pas repartir, faute d’argent. Il a en revanche de l’éducation et une plume facile et colorée, qu’il met cette fois au service de Rolande Sarrault.
Dès le 28 avril 1939, il harangue le Consul de France dans une lettre truffée d’allégations douteuses, et somme le diplomate de faire verser par les Trustees Deacons les deux millions de dollars qui sont dus à Rolande Sarrault. Une enquête est diligentée ; les premiers doutes apparaissent avec les problèmes d’identité de Rolande Sarrault. Elle s’appelle en fait Rose Roinel. Changer de nom est chose facile à l’époque, surtout lorsque l’on part à l’autre bout du monde. Mais pourquoi ? Mystère.
Quoiqu’il en soit, la mercière entre dans la combinaison de Francis Vetch et harcèle le Consul. Celui-ci se plaint de ses fréquentes visites et supplie le Secrétaire colonial de régler cette affaire. Le directeur de la banque d’Indochine, où un compte est censé attendre l’héritage, qualifie cette histoire de «fantasmagorique». Un avocat d’Indochine, nommé Garnier, prétend avoir la preuve du bon droit de Rolande Sarrault, mais ne la montre jamais, tandis qu’une certaine Madame de Courseulle se flatte qu’une part de l’héritage doit également lui revenir. Pendant quelques mois, «la succession Chater» est un feuilleton de prétentions rocambolesques.
Les courriers fumants et fumeux de Francis Vetch se multiplient. Tantôt il recommande de régler l’affaire à l’amiable, entre Français, tantôt il se dit prêt à saisir les plus hautes autorités britanniques. Il adresse de formelles protestations aux notaires et les accuse de détournement. Il invective le Secrétaire colonial en personne et se plaint que Madame Sarrault soit considérée «comme une femme du commun, sans défense, facile à dépouiller de son bien». Et de partir dans une diatribe illuminée : « Tout au contraire, Madame Sarrault appartient à une famille très honorable de Bretagne avec cette particularité qu’elle est la nièce du Cardinal Saint-Marc, archevêque de Rennes, une notabilité dans l’épiscopat de France, fondateur de ces Petites sœurs des pauvres que vous voyez quêter dans les rues de Hong Kong. En ce qui me concerne, je suis le neveu de Joseph de Villèle, ministre de Louis XVIII et de Charles X. C’est vous dire que ni Madame Sarrault ni moi nous ne courrons après des héritages et que nous nous tenons à l’écart des hommes d’affaires véreux». L’aplomb est à couper le souffle et confine à l’ironie.
Les dernières salves épistolaires ont lieu pendant l’été 1939. Les traces de Rolande Sarrault et de son prétendu héritage se perdent dans les affres de la guerre. Son nom n’apparaît plus à la libération de Hong Kong.
FD.
Sources : Archives du Ministère des Affaires Etrangères, Nantes ; http://www.chater-genealogy.com/. Crédits photographiques : Hong Kong records office ; Archives du Ministère des Affaires Etrangères, Nantes.
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