Homme d’affaire malheureux, entrepreneur malhonnête, mari manipulateur et trompé, touche-à-tout infatigable, Francis Vetch est un personnage baroque dont les aventures suscitent aujourd’hui encore l’amusement et l’incrédulité. Irritant et attachant, il traverse avec agitation la première moitié du XXe siècle ; Hong Kong est son port d’attache.
Dans le billet sur «les petites embrouilles de Rolande Sarrault», nous avons évoqué le rocambolesque Francis Vetch, en promettant de revenir sur cet homme étrange, figure à la fois pathétique et délirante de la communauté française de Hong Kong. Au-delà du simple récit, l’idée est de montrer une tranche de vie, certes colorée, de l’existence de ceux qui partent à l’autre bout du monde pour ne rien réussir, du moins honnêtement… L’échec est le quotidien de beaucoup, même si l’Histoire ne retient souvent que ceux qui font fortune.
Francis Vetch est l’archétype du «looser», selon l’anglicisme à la mode aujourd’hui. Son histoire commence par un coup de théâtre, au sens propre comme au figuré. Alors qu’il part de Marseille vers la Chine avec sa famille, en avril 1900, sa femme Rosalie rencontre sur le paquebot un jeune diplomate qui rejoint sa nouvelle affectation. Il s’agit de Paul Claudel… qui devient son amant. Cette histoire inspirera au dramaturge le «Partage de Midi» ; Francis Vetch y étant le personnage de De Cys.
Marie-Josèphe Guers, dans son roman La maîtresse du Consul, décrit Francis Vetch comme un aventurier combinard dont la femme, complice active, se lasse des petites arnaques et autres inventions malhonnêtes. D’origine réunionnaise, né à Saint-Denis en 1862, Francis Vetch a rejoint l’Europe le temps d’avoir de nombreux démêlés avec la justice et de se marier avec Rosalie, que certaines sources disent être la fille d'un noble polonais et d'une Ecossaise, noble également. Ils ont quatre enfants et embarquent pour la Chine au début du siècle ; Vetch pense faire fortune à Fou-Tchéou.
L’histoire d’amour entre Rosalie et le jeune diplomate semble construite de toute pièce en vue de manipuler Paul Claudel. Rosalie Vetch tombe toutefois sous le charme du Consul et une fougueuse passion de quatre ans commence alors, tandis que Francis Vetch s’éloigne, déjà perdu dans les confins de l’Empire à entreprendre quelques affaires plus ou moins légales. Un billet sur Paul Claudel reviendra prochainement sur cette période : il y a en effet un lien entre les deux amants et Hong Kong.
Après d’innombrables déboires et un passage par l’Europe et un divorce, Francis Vetch s’installe à Hong Kong. Marie-Anne Lescouret, biographe de Claudel, qualifie notre anti-héros «d’affairiste porte-poisse», au regard des descriptions qu’en fait le dramaturge. Le personnage ne change pas après la Grande Guerre. Il est négociant en charbon à Shanghaï, libraire pourchassé par les Jésuites à Tientsin, brocanteur associé à un Russe à Pékin, fabricant de contrefaçon de parfum à Tientsin. On le retrouve toujours dans les papiers du Consulat de Hong Kong, en éternel trublion.
Le Consul part à la recherche de sa famille et reçoit une fin de non-recevoir de la part d’un des enfants, Gaston, installé à Genêve. «Mon père a toujours voulu essayer de monter des affaires plus ou moins hasardeuses, en empruntant de l’argent soit à la famille, soit à des étrangers : mon frère cadet a du reste été presque ruiné par lui». Il enfonce le clou en expliquant qu’il a été abandonné et a dû se débrouiller sans son père. «Je ne me considère ni juridiquement, ni moralement tenu à lui venir en aide». Et de conseiller à son frère aîné d’empêcher leur père «d’encourir des dettes ou d’emprunter de l’argent pour d’autres opérations financières qui, d’après l’expérience, ne pourraient être que désastreuses».
Hélas, on peut suivre Francis Vetch à la trace en Asie, avec toutes les dettes qu’il laisse, entre autres dans les hôtels… Les directeurs adressent des plaintes au Consul de France à Hong Kong pour qu’il intervienne. Le diplomate se trouve désarmé face à un tel phénomène. Francis Vetch répond toujours par des courriers extravagants. Au propriétaire du Metropol qui lui a confisqué son passeport : «Tout homme, Monsieur, a le droit de vivre. Je ne vous reconnais pas le pouvoir de m’enlever le pain de la bouche». Les formules sont toujours ampoulées et le ton dramatique confine au comique. A peine une affaire est-elle réglée qu’une autre éclate. Le livret de pension de Francis Vetch est confisqué par un hôtel, qu’importe… le forban écrit au Président de l’association des Pères et Mères de famille qui ont perdu des enfants à la guerre pour lui donner pouvoir d’encaisser l’argent sur place à Paris et au bénéfice de l’association. Une générosité en forme de pied de nez à ses créanciers.
Rien n’arrête Francis Vetch. Les innombrables échecs de sa triste carrière n’ont jamais fait trembler sa détermination et son assurance… C’est sûrement ce qui rend attachant cette personne si souvent détestable par ses activités. En 1938, lorsque le Consul envisage son rapatriement en France, la réponse est digne d’une tragédie grecque : «Je m’incline devant pareil scandale et me déclare vaincu. Veuillez me considérer comme un prisonnier qui se rend et qui ne demande qu’à être traité humainement en considération de son grand âge, surtout du fait que sur trois fils, qui ont combattu toute la dernière guerre, un a versé son sang pour la France. Faîtes vite ce que vous avez à faire». Ce sur quoi il prend la fuite à Macao et fait désormais adresser ses factures directement au Consulat de France.
Un peu plus tard, le Consul ne cache pas son soulagement lorsque les Pères Salésiens acceptent d’héberger Francis Vetch, à condition qu’il se conforme aux règles de la maison. Son fils aîné Robert, membre de la congrégation italienne, le prend en charge pour mettre fin à «cette douloureuse odyssée». Mais le septuagénaire décide de mettre à profit cette retraite monastique pour rédiger un ouvrage sur… le fascisme en Italie, qui n’est évidemment pas du goût des Pères. Retour à Hong Kong.
Le 4 septembre 1939, à 77 ans, il déclare dans une lettre : «je me considère comme mobilisé au même titre que mes trois fils. Vous pouvez donc, en toutes circonstances faire appel à mon dévouement pour la France».
L’une des dernières bravades de Francis Vetch est inattendue. En avril 1940, il crée la première librairie française de Hong Kong. The Hong Kong French bookstore est situé au 1 Bonham road. L’escroc fait imprimer un ouvrage intitulé «Ralliez-vous à mon panache blanc» et quelques autres œuvres dramatiques et historiques, qu’il ne paiera jamais à son fournisseur. A nouveau poursuivi par ses créanciers, il quitte quelques temps la colonie britannique pour, dit-il «une entreprise d’importation et de réexportation de produits Chinois et Français à Kouang-Tchéou-Wan», une possession française également appelée Fort-Bayard. C’est là, en 1941, que le Consulat perd sa trace…
Francis Vetch est l’archétype du «looser», selon l’anglicisme à la mode aujourd’hui. Son histoire commence par un coup de théâtre, au sens propre comme au figuré. Alors qu’il part de Marseille vers la Chine avec sa famille, en avril 1900, sa femme Rosalie rencontre sur le paquebot un jeune diplomate qui rejoint sa nouvelle affectation. Il s’agit de Paul Claudel… qui devient son amant. Cette histoire inspirera au dramaturge le «Partage de Midi» ; Francis Vetch y étant le personnage de De Cys.
Marie-Josèphe Guers, dans son roman La maîtresse du Consul, décrit Francis Vetch comme un aventurier combinard dont la femme, complice active, se lasse des petites arnaques et autres inventions malhonnêtes. D’origine réunionnaise, né à Saint-Denis en 1862, Francis Vetch a rejoint l’Europe le temps d’avoir de nombreux démêlés avec la justice et de se marier avec Rosalie, que certaines sources disent être la fille d'un noble polonais et d'une Ecossaise, noble également. Ils ont quatre enfants et embarquent pour la Chine au début du siècle ; Vetch pense faire fortune à Fou-Tchéou.
L’histoire d’amour entre Rosalie et le jeune diplomate semble construite de toute pièce en vue de manipuler Paul Claudel. Rosalie Vetch tombe toutefois sous le charme du Consul et une fougueuse passion de quatre ans commence alors, tandis que Francis Vetch s’éloigne, déjà perdu dans les confins de l’Empire à entreprendre quelques affaires plus ou moins légales. Un billet sur Paul Claudel reviendra prochainement sur cette période : il y a en effet un lien entre les deux amants et Hong Kong.
Après d’innombrables déboires et un passage par l’Europe et un divorce, Francis Vetch s’installe à Hong Kong. Marie-Anne Lescouret, biographe de Claudel, qualifie notre anti-héros «d’affairiste porte-poisse», au regard des descriptions qu’en fait le dramaturge. Le personnage ne change pas après la Grande Guerre. Il est négociant en charbon à Shanghaï, libraire pourchassé par les Jésuites à Tientsin, brocanteur associé à un Russe à Pékin, fabricant de contrefaçon de parfum à Tientsin. On le retrouve toujours dans les papiers du Consulat de Hong Kong, en éternel trublion.
Le Consul part à la recherche de sa famille et reçoit une fin de non-recevoir de la part d’un des enfants, Gaston, installé à Genêve. «Mon père a toujours voulu essayer de monter des affaires plus ou moins hasardeuses, en empruntant de l’argent soit à la famille, soit à des étrangers : mon frère cadet a du reste été presque ruiné par lui». Il enfonce le clou en expliquant qu’il a été abandonné et a dû se débrouiller sans son père. «Je ne me considère ni juridiquement, ni moralement tenu à lui venir en aide». Et de conseiller à son frère aîné d’empêcher leur père «d’encourir des dettes ou d’emprunter de l’argent pour d’autres opérations financières qui, d’après l’expérience, ne pourraient être que désastreuses».
Hélas, on peut suivre Francis Vetch à la trace en Asie, avec toutes les dettes qu’il laisse, entre autres dans les hôtels… Les directeurs adressent des plaintes au Consul de France à Hong Kong pour qu’il intervienne. Le diplomate se trouve désarmé face à un tel phénomène. Francis Vetch répond toujours par des courriers extravagants. Au propriétaire du Metropol qui lui a confisqué son passeport : «Tout homme, Monsieur, a le droit de vivre. Je ne vous reconnais pas le pouvoir de m’enlever le pain de la bouche». Les formules sont toujours ampoulées et le ton dramatique confine au comique. A peine une affaire est-elle réglée qu’une autre éclate. Le livret de pension de Francis Vetch est confisqué par un hôtel, qu’importe… le forban écrit au Président de l’association des Pères et Mères de famille qui ont perdu des enfants à la guerre pour lui donner pouvoir d’encaisser l’argent sur place à Paris et au bénéfice de l’association. Une générosité en forme de pied de nez à ses créanciers.
Rien n’arrête Francis Vetch. Les innombrables échecs de sa triste carrière n’ont jamais fait trembler sa détermination et son assurance… C’est sûrement ce qui rend attachant cette personne si souvent détestable par ses activités. En 1938, lorsque le Consul envisage son rapatriement en France, la réponse est digne d’une tragédie grecque : «Je m’incline devant pareil scandale et me déclare vaincu. Veuillez me considérer comme un prisonnier qui se rend et qui ne demande qu’à être traité humainement en considération de son grand âge, surtout du fait que sur trois fils, qui ont combattu toute la dernière guerre, un a versé son sang pour la France. Faîtes vite ce que vous avez à faire». Ce sur quoi il prend la fuite à Macao et fait désormais adresser ses factures directement au Consulat de France.
Un peu plus tard, le Consul ne cache pas son soulagement lorsque les Pères Salésiens acceptent d’héberger Francis Vetch, à condition qu’il se conforme aux règles de la maison. Son fils aîné Robert, membre de la congrégation italienne, le prend en charge pour mettre fin à «cette douloureuse odyssée». Mais le septuagénaire décide de mettre à profit cette retraite monastique pour rédiger un ouvrage sur… le fascisme en Italie, qui n’est évidemment pas du goût des Pères. Retour à Hong Kong.
Le 4 septembre 1939, à 77 ans, il déclare dans une lettre : «je me considère comme mobilisé au même titre que mes trois fils. Vous pouvez donc, en toutes circonstances faire appel à mon dévouement pour la France».
L’une des dernières bravades de Francis Vetch est inattendue. En avril 1940, il crée la première librairie française de Hong Kong. The Hong Kong French bookstore est situé au 1 Bonham road. L’escroc fait imprimer un ouvrage intitulé «Ralliez-vous à mon panache blanc» et quelques autres œuvres dramatiques et historiques, qu’il ne paiera jamais à son fournisseur. A nouveau poursuivi par ses créanciers, il quitte quelques temps la colonie britannique pour, dit-il «une entreprise d’importation et de réexportation de produits Chinois et Français à Kouang-Tchéou-Wan», une possession française également appelée Fort-Bayard. C’est là, en 1941, que le Consulat perd sa trace…
FD.
Sources : Archives du ministère des Affaires Etrangères, Nantes ; Marie-Josèphe Guers, La maîtresse du Consul, Albin Michel, 2000 ; Marie-Anne Lescourret, Claudel, Flammarion, 2003.
Crédits photographiques : Marie-Josèphe Guers, collection particulière. Photo prise en 1900 à Fou-Tchéou. Francis Vetch, alors âgé de 38 ans, est à gauche. Sa femme Rose et l’un de leurs enfants sont assis devant. Derrière, Paul Claudel.
Crédits photographiques : Marie-Josèphe Guers, collection particulière. Photo prise en 1900 à Fou-Tchéou. Francis Vetch, alors âgé de 38 ans, est à gauche. Sa femme Rose et l’un de leurs enfants sont assis devant. Derrière, Paul Claudel.
1 commentaire:
Dans ses activités il a aussi fait éditer "La semeuse" aux Presses du Pé-T'ang. en 1919. Edité à la chinoise, en trois cahiers dans un coffret. Il est mentionné comme étant l'auteur.
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