Dans la nuit du 15 au 16 mai 1932, le paquebot «Georges Philippar» fait naufrage dans le golfe d’Aden. Ce navire de la compagnie des Messageries Maritimes revient de son voyage inaugural en Extrême-Orient. A son bord, l’attaché de chancellerie de Hong Kong, Charles Renner, ainsi que sa femme et leur enfant, échappent de justesse à la mort. Quelques mois plus tard, les rescapés font le récit de la tragédie.
Sorti des chantiers de Saint-Nazaire en novembre 1930, le «Georges Philippar» est l’une des fiertés de la compagnie des Messageries Maritimes. Avec ses cheminées carrées originales, le navire-jumeau du «Felix Roussel» s’est élancé de Marseille en 1932, pour son voyage inaugural en Extrême-Orient. A son retour de Saigon, 505 passagers sont à bord, dont le célèbre journaliste Albert Londres. Le jeune attaché de chancellerie de Hong Kong, Charles Renner, est également du voyage avec sa femme et leur bébé. Le diplomate est en poste dans la colonie britannique depuis 1928 ; c’est son premier retour en Europe, pour présenter le nourrisson à la famille.
Dans la nuit du 15 mai 1932, alors que le bateau entre dans le golfe d’Aden, une fête est organisée. Les passagers se couchent fort tard et l’un d’entre eux, à son retour dans sa cabine, sent une forte odeur de caoutchouc brûlé. C’est le début du tragique incendie à l’origine du naufrage. Le feu se propage avec une rapidité étonnante. Le poste de radio émetteur et le groupe électrogène sont détruits, de même qu’une partie des canots de sauvetage. Quelques appels de détresse sont lancés in extremis avant que l’ensemble du navire ne devienne la proie des flammes.
Bien après le drame, les autorités françaises ouvrent une enquête pour essayer de déterminer les causes de ce naufrage, mais aussi les responsabilités. C’est dans ce cadre que Charles Renner et sa femme sont interrogés. Leurs récits, séparés, proviennent des procès-verbaux d’audition faits à la demande du Gouverneur général d’Indochine.
La famille Renner occupe la cabine 73, en première classe sur le pont D à bâbord. Ils sont montés sur le «Georges Philippar» à Hong Kong, le 26 avril 1932. Le diplomate, âgé de 32 ans au moment des faits, se souvient d’un excellent début de voyage : «le service était parfait, le personnel très complaisant ; je me trouvais en parfaite sécurité». Sa femme, Gabrielle, âgée quant à elle de 25 ans, se souvient toutefois de quelques défaillances électriques. «Très souvent on mettait une ampoule et elle était brûlée tout de suite». Charles Renner confirme: «A ce point de vue – et j’avoue ne m’en être point occupé à l’époque – les ampoules des liseuses dans ma cabine ont sauté, un nombre de fois considérable, et ont dû sauter dans les autres cabines puisqu’au bout de très peu de temps après le départ de Saigon, elles n’ont pu être remplacées. Je dois également signaler que, au début du voyage, ayant remarqué un grésillement dans un commutateur j’avais fait appeler l’électricien de bord; en dévissant la plaque nickelée sur laquelle étaient fixés les boutons, l’ouvrier trouva à l’intérieur un morceau de papier d’emballage à moitié brûlé».
La nuit du naufrage, «nous nous sommes réveillés quand tout brûlait déjà autour de nous, commente Gabrielle Renner. Nous avons eu connaissance de l’incendie par les cris de notre voisine de cabine, madame Vayssières, et presqu’au même moment par l’odeur de la fumée qui avait pénétré dans la cabine sans nous réveiller». Il était entre 2h15 et 2h20 d’après les estimations.
Charles Renner raconte: «Nous sommes sortis immédiatement sans prendre le temps de nous vêtir. La coursive était remplie d’une fumée âcre et épaisse ; qui vous brûlait les yeux et vous étouffait. La chaleur était intense, les flammes devaient être très proches, mais la fumée était si opaque qu’on ne pouvait les voir. Sachant la porte de communication avec les 2e classes toujours fermée à clef, j’ai essayé à travers la fumée de gagner l’escalier du bar ; j’ai été obligé de m’arrêter car je me rendais compte que j’entrais dans les flammes, d’ailleurs en me retournant pour revenir sur mes pas, je fus brûlé dans le dos et aux oreilles».
C’est à ce moment que Charles Renner perd contact avec sa femme. «Il était impossible de voir à 10 cm devant moi. Elle ne répondait pas à mes appels et je craignais qu’elle eut continué le chemin vers le brasier». C’est en effet la direction qu’a prise Gabrielle… mais elle a rebroussé chemin plus vite : «Je n’ai pas pu continuer car on étouffait de fumée et de chaleur. J’ai fait demi-tour pour retourner dans ma cabine, mais j’ai continué instinctivement mon chemin en tenant mon enfant serré contre ma poitrine. Je ne répondais pas aux appels de mon mari de crainte de provoquer chez l’enfant de nouvelles plaintes et de crainte d’étouffer moi-même et ne pas arriver à nous sauver». Le diplomate panique à leur recherche. «Au moment où je me retournais pour regagner ma cabine et sauter par le hublot, j’entendis quelqu’un défoncer la porte de communication avec le pont des 2e classes et quand j’arrivais, je me sentais évanouir ; quelqu’un m’a tiré dehors, là je trouvais ma femme et mon enfant».
Gabrielle Renner ne se souvient pas d’avoir entendu de signaux d’alarme, ni dans la cabine ni dans la coursive. «Il régnait un grand silence». Charles Renner, lui, a entendu une très faible sonnerie «comme un réveil placé à grande distance, et pourtant il régnait dans la coursive un silence de mort, c’est surtout cela qui m’a frappé. Je peux dire que le feu se propageait à une rapidité terrifiante, et au moment où je me trouvais sur le pont, tout le bateau était embrasé et les flammes sortaient de presque tous les hublots du pont D».
Sur le pont des deuxième classe, des matelots sont là, impuissants avec leur manche à eau. Il semble régner le plus grand désordre dans l’organisation des secours. Les marins ne sont pas commandés et combattent le feu comme ils peuvent. «Je n’ai pas l’impression qu’il y eut des mesures prises, affirme Gabrielle Renner. J’ai vu le premier canot descendre, j’ai sauté dedans, mais je me rappelle qu’un matelot empêchait les hommes de monter». Le lieutenant Richard est le seul officier remarqué sur le pont. C’est lui qui organise les deux premiers canots. Charles Renner voit partir sa femme et son enfant. Il reste à bord. «Je me suis mis à la recherche d’une ceinture de sauvetage; la première que je trouvais se cassa quand je voulus la mettre. Après en avoir trouvé une autre, je me suis laissé glisser le long d’une corde pour tacher de regagner à la nage un canot. Après une vingtaine de minutes, je fus retiré de l’eau».
Le pétrolier russe Sovietskaja Neft arrive sur les lieux une heure et demie plus tard. La famille Renner monte à bord, saine et sauve. Plus de 50 personnes n’ont pas cette chance et périssent étouffés ou brûlés. Le journaliste Albert Londres est parmi les victimes, alors qu’il revient d’une longue enquête en Chine. La rumeur a longtemps voulu que l’incendie fut en fait un acte criminel diligenté par la mafia chinoise pour que les documents secrets que transportait le célèbre reporter n’arrivent jamais à bon port… Quoi qu’il en soit, la cause exacte de l’incendie n’a jamais été véritablement explicitée, même si les soupçons portent fortement sur la qualité de l’équipement électrique du navire.
Pour Charles Renner, de nombreuses vies auraient été sauvées si les appareils avertisseurs et les alarmes avaient fonctionné et, surtout, si les portes de communication n’avaient pas été toutes fermées à clé. Gabrielle Renner enfonce le clou : «En ce qui concerne notre coursive, rien n’a été fait ni pour nous avertir ni pour nous sauver». Les rapports de police établissent quant à eux que le personnel a perdu trop de temps à essayer d’éteindre le feu sans enclencher les alarmes, de peur de réveiller les passagers pour rien. Le commandant a également ordonné bien trop tôt la fermeture des portes étanches, condamnant ainsi des passagers qui n’avaient pas encore réussi à fuir.
Charles Renner et sa famille, ainsi que tous les autres rescapés, sont ramenés en France sur un autre navire de passage. Le diplomate repart pour Hong Kong quelques mois plus tard. A l’occasion, il est nommé «attaché de consulat» puis rapidement, en janvier 1934, il devient vice-consul, toujours dans la colonie britannique. Le «Georges Philippar» ou du moins ce qu’il en restait, a brûlé pendant trois jours en dérivant, avant de sombrer définitivement par deux milles mètres de fond. Il est toujours au large de Guardafui, sur la côte d’Arabie, avec les secrets d’Albert Londres et les souvenirs épouvantés de la famille Renner.
Sources : Archives du ministère des Affaires étrangères, Nantes. Les photos proviennent de l’incontournable site Internet de Philippe Ramona sur les Messageries maritimes : http://www.es-conseil.fr/pramona/gphilip.htm On y trouve notamment les clichés du naufrage, pris par le rescapé Louis Christophe (collection Annie Christophe).
Dans la nuit du 15 mai 1932, alors que le bateau entre dans le golfe d’Aden, une fête est organisée. Les passagers se couchent fort tard et l’un d’entre eux, à son retour dans sa cabine, sent une forte odeur de caoutchouc brûlé. C’est le début du tragique incendie à l’origine du naufrage. Le feu se propage avec une rapidité étonnante. Le poste de radio émetteur et le groupe électrogène sont détruits, de même qu’une partie des canots de sauvetage. Quelques appels de détresse sont lancés in extremis avant que l’ensemble du navire ne devienne la proie des flammes.
Bien après le drame, les autorités françaises ouvrent une enquête pour essayer de déterminer les causes de ce naufrage, mais aussi les responsabilités. C’est dans ce cadre que Charles Renner et sa femme sont interrogés. Leurs récits, séparés, proviennent des procès-verbaux d’audition faits à la demande du Gouverneur général d’Indochine.
La famille Renner occupe la cabine 73, en première classe sur le pont D à bâbord. Ils sont montés sur le «Georges Philippar» à Hong Kong, le 26 avril 1932. Le diplomate, âgé de 32 ans au moment des faits, se souvient d’un excellent début de voyage : «le service était parfait, le personnel très complaisant ; je me trouvais en parfaite sécurité». Sa femme, Gabrielle, âgée quant à elle de 25 ans, se souvient toutefois de quelques défaillances électriques. «Très souvent on mettait une ampoule et elle était brûlée tout de suite». Charles Renner confirme: «A ce point de vue – et j’avoue ne m’en être point occupé à l’époque – les ampoules des liseuses dans ma cabine ont sauté, un nombre de fois considérable, et ont dû sauter dans les autres cabines puisqu’au bout de très peu de temps après le départ de Saigon, elles n’ont pu être remplacées. Je dois également signaler que, au début du voyage, ayant remarqué un grésillement dans un commutateur j’avais fait appeler l’électricien de bord; en dévissant la plaque nickelée sur laquelle étaient fixés les boutons, l’ouvrier trouva à l’intérieur un morceau de papier d’emballage à moitié brûlé».
La nuit du naufrage, «nous nous sommes réveillés quand tout brûlait déjà autour de nous, commente Gabrielle Renner. Nous avons eu connaissance de l’incendie par les cris de notre voisine de cabine, madame Vayssières, et presqu’au même moment par l’odeur de la fumée qui avait pénétré dans la cabine sans nous réveiller». Il était entre 2h15 et 2h20 d’après les estimations.
Charles Renner raconte: «Nous sommes sortis immédiatement sans prendre le temps de nous vêtir. La coursive était remplie d’une fumée âcre et épaisse ; qui vous brûlait les yeux et vous étouffait. La chaleur était intense, les flammes devaient être très proches, mais la fumée était si opaque qu’on ne pouvait les voir. Sachant la porte de communication avec les 2e classes toujours fermée à clef, j’ai essayé à travers la fumée de gagner l’escalier du bar ; j’ai été obligé de m’arrêter car je me rendais compte que j’entrais dans les flammes, d’ailleurs en me retournant pour revenir sur mes pas, je fus brûlé dans le dos et aux oreilles».
C’est à ce moment que Charles Renner perd contact avec sa femme. «Il était impossible de voir à 10 cm devant moi. Elle ne répondait pas à mes appels et je craignais qu’elle eut continué le chemin vers le brasier». C’est en effet la direction qu’a prise Gabrielle… mais elle a rebroussé chemin plus vite : «Je n’ai pas pu continuer car on étouffait de fumée et de chaleur. J’ai fait demi-tour pour retourner dans ma cabine, mais j’ai continué instinctivement mon chemin en tenant mon enfant serré contre ma poitrine. Je ne répondais pas aux appels de mon mari de crainte de provoquer chez l’enfant de nouvelles plaintes et de crainte d’étouffer moi-même et ne pas arriver à nous sauver». Le diplomate panique à leur recherche. «Au moment où je me retournais pour regagner ma cabine et sauter par le hublot, j’entendis quelqu’un défoncer la porte de communication avec le pont des 2e classes et quand j’arrivais, je me sentais évanouir ; quelqu’un m’a tiré dehors, là je trouvais ma femme et mon enfant».
Gabrielle Renner ne se souvient pas d’avoir entendu de signaux d’alarme, ni dans la cabine ni dans la coursive. «Il régnait un grand silence». Charles Renner, lui, a entendu une très faible sonnerie «comme un réveil placé à grande distance, et pourtant il régnait dans la coursive un silence de mort, c’est surtout cela qui m’a frappé. Je peux dire que le feu se propageait à une rapidité terrifiante, et au moment où je me trouvais sur le pont, tout le bateau était embrasé et les flammes sortaient de presque tous les hublots du pont D».
Sur le pont des deuxième classe, des matelots sont là, impuissants avec leur manche à eau. Il semble régner le plus grand désordre dans l’organisation des secours. Les marins ne sont pas commandés et combattent le feu comme ils peuvent. «Je n’ai pas l’impression qu’il y eut des mesures prises, affirme Gabrielle Renner. J’ai vu le premier canot descendre, j’ai sauté dedans, mais je me rappelle qu’un matelot empêchait les hommes de monter». Le lieutenant Richard est le seul officier remarqué sur le pont. C’est lui qui organise les deux premiers canots. Charles Renner voit partir sa femme et son enfant. Il reste à bord. «Je me suis mis à la recherche d’une ceinture de sauvetage; la première que je trouvais se cassa quand je voulus la mettre. Après en avoir trouvé une autre, je me suis laissé glisser le long d’une corde pour tacher de regagner à la nage un canot. Après une vingtaine de minutes, je fus retiré de l’eau».
Le pétrolier russe Sovietskaja Neft arrive sur les lieux une heure et demie plus tard. La famille Renner monte à bord, saine et sauve. Plus de 50 personnes n’ont pas cette chance et périssent étouffés ou brûlés. Le journaliste Albert Londres est parmi les victimes, alors qu’il revient d’une longue enquête en Chine. La rumeur a longtemps voulu que l’incendie fut en fait un acte criminel diligenté par la mafia chinoise pour que les documents secrets que transportait le célèbre reporter n’arrivent jamais à bon port… Quoi qu’il en soit, la cause exacte de l’incendie n’a jamais été véritablement explicitée, même si les soupçons portent fortement sur la qualité de l’équipement électrique du navire.
Pour Charles Renner, de nombreuses vies auraient été sauvées si les appareils avertisseurs et les alarmes avaient fonctionné et, surtout, si les portes de communication n’avaient pas été toutes fermées à clé. Gabrielle Renner enfonce le clou : «En ce qui concerne notre coursive, rien n’a été fait ni pour nous avertir ni pour nous sauver». Les rapports de police établissent quant à eux que le personnel a perdu trop de temps à essayer d’éteindre le feu sans enclencher les alarmes, de peur de réveiller les passagers pour rien. Le commandant a également ordonné bien trop tôt la fermeture des portes étanches, condamnant ainsi des passagers qui n’avaient pas encore réussi à fuir.
Charles Renner et sa famille, ainsi que tous les autres rescapés, sont ramenés en France sur un autre navire de passage. Le diplomate repart pour Hong Kong quelques mois plus tard. A l’occasion, il est nommé «attaché de consulat» puis rapidement, en janvier 1934, il devient vice-consul, toujours dans la colonie britannique. Le «Georges Philippar» ou du moins ce qu’il en restait, a brûlé pendant trois jours en dérivant, avant de sombrer définitivement par deux milles mètres de fond. Il est toujours au large de Guardafui, sur la côte d’Arabie, avec les secrets d’Albert Londres et les souvenirs épouvantés de la famille Renner.
FD.
Sources : Archives du ministère des Affaires étrangères, Nantes. Les photos proviennent de l’incontournable site Internet de Philippe Ramona sur les Messageries maritimes : http://www.es-conseil.fr/pramona/gphilip.htm On y trouve notamment les clichés du naufrage, pris par le rescapé Louis Christophe (collection Annie Christophe).
2 commentaires:
merci pour ce documentaire .
Impressionnant incendie .Mort brutale d'un grand journaliste .La famille Renner a eu de la chance .
La France a-t-elle remercié les Soviets et les Anglais ?Les naufragés ont pu grâce à eux être sauvés .
Merci pour ce témoignage précis, touchant,
ma grand-mère rentrant d'Indochine a malheureusement périt à bord du Georges Philippar.
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