Personnage singulier de l’histoire de la France à Hong Kong, le contre-torpilleur «Fronde» est un cas unique dans les annales de la Marine Nationale. Il a coulé à Hong Kong en 1906, y a été renfloué et réparé, puis a participé à un des premiers combats navals de 1914.
Le contre-torpilleur «Fronde» fait partie d’une série de vingt bâtiments de 300 tonnes, dits de type «Arquebuse», premier de cette série mise en service au début du XXe siècle. La construction de ces navires légers découle des théories de la «Jeune Ecole», école de pensée stratégique navale lancée par l’amiral Aube, ministre de la Marine à la fin des années 1880. A cette époque, l’introduction de la torpille dans la panoplie des armes navales fait naître de grands espoirs chez certains officiers de marine français. Ils espèrent en effet que cette nouvelle arme, supposée imparable, va permettre de contrer la suprématie des autres marines équipées de puissants cuirassés, en particulier la Royal Navy. Le grand rival sur mer, sur fond d’expansion coloniale, demeure encore pour quelques années la flotte britannique, avant que l’amélioration des relations entre la France et l’Angleterre ne débouche en 1904 sur l’Entente cordiale.
Les partisans de la «Jeune Ecole», marins mais aussi hommes politiques et nombreux journalistes qui se passionnent alors pour la stratégie navale, pensent qu’une nuée de petits bâtiments armés de torpilles doit être capable de saturer les défenses des grands navires de ligne et de les mettre hors de combat. Derrière cette théorie, il y a l’idée que la France pourra réaliser des économies, un grand nombre de petits torpilleurs ou contre-torpilleurs revenant moins cher qu’une flotte plus réduite de grands cuirassés. Il s’agit en effet de pouvoir consacrer le plus d’argent possible au réarmement terrestre face à l’Allemagne. La priorité donnée aux petites unités de surface au détriment des grands bâtiments répond ainsi à l’axe stratégique de la France. La fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle voient donc la mise en chantier de centaines de bâtiments de faible tonnage, de 100 à quelques centaines de tonnes. A la veille de la Première Guerre mondiale, la marine française aligne ainsi 272 torpilleurs et contre-torpilleurs relevant de cette théorie de la «Jeune Ecole». La «Fronde» en fait partie.
Les contre-torpilleurs de la série «Arquebuse» jaugent environ 300 tonnes, pour une longueur de 58,3 mètres. Ils sont équipés d’un moteur de 2300 CV qui leur assure une vitesse élevée de 30 nœuds, atout principal de ces navires dont l’armement est constitué surtout de torpilles. Malgré leur petite taille, ces bâtiments sont appréciés pour leurs qualités nautiques. L’amiral Hallier, qui en 1906 commandait comme lieutenant de vaisseau le «Sabre», navire de cette série, écrit : «Ce petit torpilleur de 350 tonnes a fait preuve, à cette occasion (l’amiral évoque le typhon à Hong Kong), de qualités nautiques merveilleuses. Après ce typhon, j’aurais affronté, sans la moindre appréhension, n’importe quel temps dans n’importe quelle mer : car je ne crois pas qu’un bâtiment de cette taille puisse être jamais soumis à une épreuve plus dure que celle-ci».
La «Fronde», lancée en 1902 aux «Chantiers et Ateliers de la Gironde » à Bordeaux, est admise au service actif en 1903. Le contre-torpilleur appartient d’abord à l’escadre de la Méditerranée, basée à Toulon. Puis, le 9 mars 1904, la «Fronde» et ses navires-jumeaux «Javeline», «Mousquet» et «Pistolet» appareillent d’Alger, en compagnie du croiseur «d’Assas», pour rejoindre la Division Navale d’Extrême-Orient (DNEO). La flottille atteint Saïgon le 23 avril. «La Fronde» et le «Pistolet» poursuivent jusqu’à Hong Kong, où ils mouillent dans le port de Victoria le 1er juin. C’est la première escale à Hong Kong du contre-torpilleur «Fronde», qui lève l’ancre le 8 juillet, atteint Shanghai le 11 juillet, pour ensuite y entrer en carénage le 2 août. De 1904 à 1906, la «Fronde» navigue entre Shanghai, Fort Bayard, Canton, Macao, Haiphong et Saigon. Le navire revient aussi plusieurs fois à Hong Kong, entre autres en octobre 1904 et avril 1906. Enfin, le 15 septembre 1906, la «Fronde» fait une dernière fois escale à Hong Kong avec quatre autres contre-torpilleurs de la DNEO, «Javeline», chef de flottille, «Francisque», «Rapière» et «Sabre». La flottille arrive de Shanghai et a affronté une queue de typhon le 13 septembre. Elle subit le 18 septembre à Hong Kong un violent typhon dont nous avons déjà conté l’histoire. La «Fronde» est gravement endommagée et cinq de ses membres d’équipage périssent ce jour-là (l’escadre anglaise fait remettre à l’amiral Boisse, commandant la DNEO, un chèque de 25 livres sterling pour les familles des disparus de la Fronde).
L’épave demeure 75 jours sous l’eau mais la DNEO décide de la renflouer et de la réparer. L’opération est facilitée, justement, par la faible taille de cette classe de contre-torpilleurs. L’arsenal de Saïgon désigne l’ingénieur de 2e classe Boysson pour superviser l’opération auprès de la compagnie de travaux maritimes de Hong Kong, «Protector». L’épave est relevée le 1er décembre et entre au bassin de radoub de Hong Hom, à Kowloon. Le contre-torpilleur reçoit une nouvelle partie de coque avant, les réparations consistant surtout à assurer sa navigabilité. Le bateau sort du bassin le 14 mars 1907 et quitte Hong Kong le 20 mars, remorqué par le croiseur «Alger» pour rejoindre le 24 mars l’arsenal de Saïgon. Il y complète pendant plusieurs mois son équipement et son armement. Par la suite, de 1907 à 1914, la «Fronde» croise dans les eaux d’Indochine, du delta du Mékong au lac Tonlé Sap, au Cambodge, patrouillant le long des côtes, ravitaillant des garnisons ou assurant des travaux d’hydrographie.
La Première guerre mondiale fournit à la «Fronde» l'occasion d'une dernière apparition notable. Le navire, qui est alors intégré à la flottille des contre-torpilleurs de Saïgon, participe en effet à un des premiers combats navals de la guerre. Le croiseur allemand «Emden», de l’escadre allemande de Chine, navigue en corsaire depuis le début des hostilités. Il a déjà coulé 22 bateaux de commerce alliés quand il affronte le 28 octobre 1914, à l’entrée du port de Penang, dans le détroit de Malacca, le croiseur russe «Yemtchoug», l’aviso français «d’Iberville» et les contre-torpilleurs «Mousquet», «Pistolet» et «Fronde». Ce dernier est à quai, machine démontée. L’«Emden», dans la tradition des navires corsaires, a maquillé sa sillouhette en gréant une 4e fausse cheminée sur son pont pour ressembler à un croiseur anglais. Il se rapproche ainsi du navire russe qui, surpris, est pris sous les canons allemands, se brise en deux et coule. Parmi les navires français, seul le «Mousquet», de retour de patrouille, peut intervenir. Mais, malgré ses torpilles qui étaient supposées lui assurer la suprématie sur des navires plus lourds, il est vite détruit par les canons de l’«Emden», qui recueille 46 survivants. 43 membres de l’équipage, dont le commandant, sont morts au combat. L’équipage de la «Fronde» assiste, impuissant, à la destruction des deux navires. Un officier du bord écrit : «Et chez tous c’était la même rage de ne rien pouvoir faire. Le sentiment unanime c’était que d’aller par le fond ce n’était rien, mais y aller sans même avoir pu tirer un coup de canon, sans se défendre, subir sans résistance cette boucherie dont nous venions d’avoir le spectacle pour nos pauvres amis russes, cela paraissait par trop dur».En mars 1915, le contre-torpilleur «Fronde» revient en Méditerranée et y patrouille jusqu’à la fin de la guerre. Le navire est désarmé le 30 octobre 1919 et sa coque est vendue à Toulon le 6 mai 1920. Cette fois-ci, la «Fronde» achève définitivement sa carrière maritime qui, déjà, avait failli se terminer le 18 septembre 1906, au fond du port de Hong Kong…
Les partisans de la «Jeune Ecole», marins mais aussi hommes politiques et nombreux journalistes qui se passionnent alors pour la stratégie navale, pensent qu’une nuée de petits bâtiments armés de torpilles doit être capable de saturer les défenses des grands navires de ligne et de les mettre hors de combat. Derrière cette théorie, il y a l’idée que la France pourra réaliser des économies, un grand nombre de petits torpilleurs ou contre-torpilleurs revenant moins cher qu’une flotte plus réduite de grands cuirassés. Il s’agit en effet de pouvoir consacrer le plus d’argent possible au réarmement terrestre face à l’Allemagne. La priorité donnée aux petites unités de surface au détriment des grands bâtiments répond ainsi à l’axe stratégique de la France. La fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle voient donc la mise en chantier de centaines de bâtiments de faible tonnage, de 100 à quelques centaines de tonnes. A la veille de la Première Guerre mondiale, la marine française aligne ainsi 272 torpilleurs et contre-torpilleurs relevant de cette théorie de la «Jeune Ecole». La «Fronde» en fait partie.
Les contre-torpilleurs de la série «Arquebuse» jaugent environ 300 tonnes, pour une longueur de 58,3 mètres. Ils sont équipés d’un moteur de 2300 CV qui leur assure une vitesse élevée de 30 nœuds, atout principal de ces navires dont l’armement est constitué surtout de torpilles. Malgré leur petite taille, ces bâtiments sont appréciés pour leurs qualités nautiques. L’amiral Hallier, qui en 1906 commandait comme lieutenant de vaisseau le «Sabre», navire de cette série, écrit : «Ce petit torpilleur de 350 tonnes a fait preuve, à cette occasion (l’amiral évoque le typhon à Hong Kong), de qualités nautiques merveilleuses. Après ce typhon, j’aurais affronté, sans la moindre appréhension, n’importe quel temps dans n’importe quelle mer : car je ne crois pas qu’un bâtiment de cette taille puisse être jamais soumis à une épreuve plus dure que celle-ci».
La «Fronde», lancée en 1902 aux «Chantiers et Ateliers de la Gironde » à Bordeaux, est admise au service actif en 1903. Le contre-torpilleur appartient d’abord à l’escadre de la Méditerranée, basée à Toulon. Puis, le 9 mars 1904, la «Fronde» et ses navires-jumeaux «Javeline», «Mousquet» et «Pistolet» appareillent d’Alger, en compagnie du croiseur «d’Assas», pour rejoindre la Division Navale d’Extrême-Orient (DNEO). La flottille atteint Saïgon le 23 avril. «La Fronde» et le «Pistolet» poursuivent jusqu’à Hong Kong, où ils mouillent dans le port de Victoria le 1er juin. C’est la première escale à Hong Kong du contre-torpilleur «Fronde», qui lève l’ancre le 8 juillet, atteint Shanghai le 11 juillet, pour ensuite y entrer en carénage le 2 août. De 1904 à 1906, la «Fronde» navigue entre Shanghai, Fort Bayard, Canton, Macao, Haiphong et Saigon. Le navire revient aussi plusieurs fois à Hong Kong, entre autres en octobre 1904 et avril 1906. Enfin, le 15 septembre 1906, la «Fronde» fait une dernière fois escale à Hong Kong avec quatre autres contre-torpilleurs de la DNEO, «Javeline», chef de flottille, «Francisque», «Rapière» et «Sabre». La flottille arrive de Shanghai et a affronté une queue de typhon le 13 septembre. Elle subit le 18 septembre à Hong Kong un violent typhon dont nous avons déjà conté l’histoire. La «Fronde» est gravement endommagée et cinq de ses membres d’équipage périssent ce jour-là (l’escadre anglaise fait remettre à l’amiral Boisse, commandant la DNEO, un chèque de 25 livres sterling pour les familles des disparus de la Fronde).
L’épave demeure 75 jours sous l’eau mais la DNEO décide de la renflouer et de la réparer. L’opération est facilitée, justement, par la faible taille de cette classe de contre-torpilleurs. L’arsenal de Saïgon désigne l’ingénieur de 2e classe Boysson pour superviser l’opération auprès de la compagnie de travaux maritimes de Hong Kong, «Protector». L’épave est relevée le 1er décembre et entre au bassin de radoub de Hong Hom, à Kowloon. Le contre-torpilleur reçoit une nouvelle partie de coque avant, les réparations consistant surtout à assurer sa navigabilité. Le bateau sort du bassin le 14 mars 1907 et quitte Hong Kong le 20 mars, remorqué par le croiseur «Alger» pour rejoindre le 24 mars l’arsenal de Saïgon. Il y complète pendant plusieurs mois son équipement et son armement. Par la suite, de 1907 à 1914, la «Fronde» croise dans les eaux d’Indochine, du delta du Mékong au lac Tonlé Sap, au Cambodge, patrouillant le long des côtes, ravitaillant des garnisons ou assurant des travaux d’hydrographie.
La Première guerre mondiale fournit à la «Fronde» l'occasion d'une dernière apparition notable. Le navire, qui est alors intégré à la flottille des contre-torpilleurs de Saïgon, participe en effet à un des premiers combats navals de la guerre. Le croiseur allemand «Emden», de l’escadre allemande de Chine, navigue en corsaire depuis le début des hostilités. Il a déjà coulé 22 bateaux de commerce alliés quand il affronte le 28 octobre 1914, à l’entrée du port de Penang, dans le détroit de Malacca, le croiseur russe «Yemtchoug», l’aviso français «d’Iberville» et les contre-torpilleurs «Mousquet», «Pistolet» et «Fronde». Ce dernier est à quai, machine démontée. L’«Emden», dans la tradition des navires corsaires, a maquillé sa sillouhette en gréant une 4e fausse cheminée sur son pont pour ressembler à un croiseur anglais. Il se rapproche ainsi du navire russe qui, surpris, est pris sous les canons allemands, se brise en deux et coule. Parmi les navires français, seul le «Mousquet», de retour de patrouille, peut intervenir. Mais, malgré ses torpilles qui étaient supposées lui assurer la suprématie sur des navires plus lourds, il est vite détruit par les canons de l’«Emden», qui recueille 46 survivants. 43 membres de l’équipage, dont le commandant, sont morts au combat. L’équipage de la «Fronde» assiste, impuissant, à la destruction des deux navires. Un officier du bord écrit : «Et chez tous c’était la même rage de ne rien pouvoir faire. Le sentiment unanime c’était que d’aller par le fond ce n’était rien, mais y aller sans même avoir pu tirer un coup de canon, sans se défendre, subir sans résistance cette boucherie dont nous venions d’avoir le spectacle pour nos pauvres amis russes, cela paraissait par trop dur».En mars 1915, le contre-torpilleur «Fronde» revient en Méditerranée et y patrouille jusqu’à la fin de la guerre. Le navire est désarmé le 30 octobre 1919 et sa coque est vendue à Toulon le 6 mai 1920. Cette fois-ci, la «Fronde» achève définitivement sa carrière maritime qui, déjà, avait failli se terminer le 18 septembre 1906, au fond du port de Hong Kong…
CR.
Sources : archives du Service historique de la Défense/Marine : journaux de navigation et correspondance des commandants, Toulon et Vincennes ; «La Revue Maritime», septembre 1951 ; http://pages14-18.mesdiscussions.net/ ; Paul Chack, Claude Farrère, «Combats et batailles sur mer», Flammarion, 1928. Crédits photographiques : Service historique de la défense/Marine/Vincennes ; HKMM.
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