Dans les jours qui suivent le violent typhon du 18 septembre 1906, une vive polémique se déclenche à Hong Kong : pourquoi le Royal Observatory n’a-t-il pas donné l’alerte, alors qu’il a été créé, justement, pour prévenir de tels drames?
L’île de Hong Kong est située sur les côtes de Chine du sud (22°N, 114°E), au milieu d’une zone au climat sub-tropical, frappée régulièrement entre août et octobre par des typhons. Leur violence peut provoquer de grands dégâts et surtout causer des pertes humaines. La chronique de Hong Kong est ponctuée de récits de cyclones, typhons et ouragans dévastant le territoire.
Ainsi, le consul de France, quatre ans après l’ouverture du consulat, fait déjà état d’un ouragan qui a touché la colonie le 8 septembre 1867. Dans sa dépêche du 10 septembre, le consul Du Chêne décrit cet «ouragan dont les conséquences ont été désastreuses […] et qui a causé tant dans la rade que dans la ville des pertes dont le chiffre n’est pas encore appréciable. […] Quatre navires étrangers ont été jetés à la côte. Un schooner américain a sombré ainsi qu’une grande quantité de jonques chinoises». Une frégate à vapeur de la marine impériale, «La Guerrière», en escale à Hong Kong, a aussi été endommagée et «est obligée de passer au dock et de subir des réparations qui la retiendront au moins un mois ici».
Ces risques récurrents que font peser les éléments sur Hong Kong conduisent les autorités coloniales à créer, en 1883, le «Royal Observatory», chargé de la mesure du temps, du recueil des données météorologiques et magnétiques et de la prévision des cyclones tropicaux. Un système d’alerte est mis en place et, quand il est déclenché, les tirs d’un canon dédié à cette mission doivent avertir la population et les navires en rade de l’imminence d’un typhon.
Pourtant, le 18 septembre 1906, ce système d’alerte n’a pas fonctionné. Comme le souligne le commandant du contre-torpilleur français «Sabre», en escale dans la rade, «le service du port n’a pas donné l’avis habituel concernant l’approche d’un typhon». Cette grave lacune va provoquer dans les jours qui suivent le désastre une vive polémique, qui met en cause le Royal Observatory et son directeur, sévèrement attaqué par les journaux de la colonie. Pourquoi l’Observatoire n’a-t-il pas donné l’alerte? Etait-il en mesure de le faire? Comment éviter à l’avenir ce genre de drame? En réponse à ces violents débats, le Gouverneur anglais, Sir Matthew Nathan, décide d’établir une Commission d’enquête qui doit déterminer les fautes commises, prendre des sanctions et adopter des mesures préventives.
En effet, le typhon qui a frappé Hong Kong le 18 septembre fut d’une rare violence et l’absence d’alerte a aggravé les dégâts matériels et les pertes humaines. Le consul de France, Auguste Liebert, rappelle dans une dépêche du 3 mai 1908 l’étendue du désastre, qu’il avait déjà décrit dans son rapport de 1906 : «Près de 60 grands navires de type européen, 34 chaloupes à vapeur et des centaines de chalands, d’allèges et de jonques furent coulés, jetés à la côte ou avariés au cours de ce typhon qui ne dura pourtant que 3 heures mais dont le centre passa en plein sur la colonie. La flottille de pêche de Hong Kong, comprenant au moins 1500 barques ou sampans fut coulée et on estime à 7 à 8000 le nombre des chinois qui furent noyés». Les cinq contre-torpilleurs français en escale ont également été touchés et «eurent des avaries plus ou moins graves». La «Fronde», abordée, a sombré et «cinq hommes de l’équipage de ce petit navire disparurent et leurs cadavres n’ont jamais été retrouvés». Ce sont ces pertes causées à la flottille française présente en rade qui ont conduit le consul de France «à intervenir –à titre d’ailleurs privé- dans les travaux de la Commission d’enquête». Il précise : «…et je crois avoir servi par les dépositions que j’ai faites devant la Commission, les intérêts de la navigation dans ce grand port fréquenté par un nombre considérable de navires de guerre et de commerce français».
Les travaux de la Commission d’enquête évoqués par le consul de France durent plusieurs mois et font l’objet de débats au Conseil législatif («Legco») de la colonie en mai 1907. Mais les conclusions du rapport de la Commission ne sont pas à la hauteur des attentes du consul Liebert: «Ainsi qu’il fallait s’y attendre, l’Observatoire -service officiel britannique- a été exonéré =officiellement= (mot souligné par le consul), mais il n’en est pas moins vrai que satisfaction a été donnée à l’opinion publique par la mise à la retraite de son directeur, M. Doberck. Enfin, ce qui vaut mieux encore, des ordres ont été donnés pour que l’Observatoire de Hong Kong tienne compte d’une façon plus sérieuse qu’il ne l’avait fait jusque là des télégrammes météorologiques qui lui sont envoyés par les observatoires de Zi Ka Wei et de Manille». Parmi les autres mesures adoptées, le canon donnant l’alarme est supprimé et remplacé par un système plus élaboré et des abris anti-typhons sont construits, dont celui de Causeway Bay.
Même si l’Observatoire est exonéré de toute faute, les directives données à la suite de la publication du rapport fournissent des indications sur ce qui a pu lui être reproché. Il semble en effet que le Royal Observatory ne tenait guère compte des prévisions météorologiques transmises par l’observatoire de Zi Ka Wei (près de Shanghai, fondé par les Jésuites français en 1873) et par celui de Manille (fondé par les Jésuites espagnols en 1865). Or ces deux observatoires, à la pointe de la technique de l’époque, assuraient depuis des décennies la couverture météorologique des mers de Chine et leurs bulletins d’information étaient utilisés par tous les bâtiments croisant dans ces eaux. Mais, manifestement, l’Observatoire de Hong Kong a ignoré les informations envoyées par Zi Ka Wei et Manille, d’où l’absence d’alerte.
C’est ce que confirment les archives de la Marine Nationale. Ainsi, le 3 novembre 1901, le capitaine de frégate Morazzani, commandant le bâtiment de transport «Nive», en escale à Shanghai, écrit à l’Amiral commandant l’escadre d’Extrême-Orient afin de lui faire part de ses réflexions concernant les typhons observés dans la zone, lettre qu’il communique également à l’observatoire de Zi Ka Wei. Dans sa lettre, le commandant de la «Nive» fait part de sa vision de marin naviguant dans ces eaux où «règne encore de l’incertitude sur l’origine et la trajectoire des cyclones». Le marin, face à ce danger, doit se reposer sur les prévisions des «observatoires de Manille, Hong Kong et Zi Ka Wei (qui) rendent des services inestimables». Mais l’échange d’informations entre ces observatoires est indispensable pour assurer la meilleure prévision possible. Mentionnant ainsi le Révérend Père Froc, météorologiste réputé de Zi Ka Wei : «il lui a suffi en 1898, pendant que Manille n’envoyait plus d’indications, d’un télégramme relatant simplement une indication de vent ne cadrant pas avec le mouvement barométrique de la localité, pour qu’il ait pu avertir les ports d’Extrême-Orient, 3 jours à l’avance, de la menace d’un typhon». Le commandant de la «Nive» recommande donc de «multiplier les points –navires ou observatoires- où l’on recueille des indications météorologiques =contrôlées=».
Le Père Louis Froc répond au commandant de la «Nive» dans une lettre du 5 novembre 1901: «Vous dites que nous avons annoncé un typhon à Hong Kong 3 jours à l’avance: nous l’avons annoncé partout, mais pas à Hong Kong ; c’est le seul port qui ait refusé de recevoir de nous quelque avertissement que ce soit, dont le directeur s’est efforcé de faire enjoindre la même interdiction à l’Observatoire de Manille qui, grâce à ces démarches a, durant quelques semaines, reçu défense expresse de nous annoncer les typhons si redoutés!».
Les archives de la Marine Nationale confirment donc ce que relève le rapport de la Commission d’enquête: l’Observatoire de Hong Kong, systématiquement, refusait de coopérer avec les autres observatoires de la région. Il s’agissait d’une attitude délibérée, sans doute liée à une certaine arrogance de son directeur, qui durait depuis de nombreuses années, au moins depuis huit ans.
Pour autant, le drame aurait-il pu être évité? Les experts contemporains qui ont analysé les données météorologiques du 18 septembre 1906, estiment que, compte-tenu des moyens de l’époque, ce typhon ne pouvait pas être détecté à temps. Les informations sur Hong Kong et sa région diffusées ce jour-là par les observatoires de Zi Ka Wei et Manille ne mentionnent d’ailleurs pas de risque de typhon. Et les descriptions et relevées concernant le typhon qui frappa Hong Kong montrent bien qu’il s’agissait d’un phénomène exceptionnel. Le typhon ne dura en effet que deux heures et demi ou trois heures, période très courte pour un typhon, qui dure généralement un ou plusieurs jours. Le typhon s’est développé soudainement, son diamètre était de faible taille et les vents violents furent très violents. Il s’agissait donc d’un phénomène rare, d’une intensité très forte et brève, et que personne, à l’époque, ne pouvait prévoir.
L’île de Hong Kong est située sur les côtes de Chine du sud (22°N, 114°E), au milieu d’une zone au climat sub-tropical, frappée régulièrement entre août et octobre par des typhons. Leur violence peut provoquer de grands dégâts et surtout causer des pertes humaines. La chronique de Hong Kong est ponctuée de récits de cyclones, typhons et ouragans dévastant le territoire.
Ainsi, le consul de France, quatre ans après l’ouverture du consulat, fait déjà état d’un ouragan qui a touché la colonie le 8 septembre 1867. Dans sa dépêche du 10 septembre, le consul Du Chêne décrit cet «ouragan dont les conséquences ont été désastreuses […] et qui a causé tant dans la rade que dans la ville des pertes dont le chiffre n’est pas encore appréciable. […] Quatre navires étrangers ont été jetés à la côte. Un schooner américain a sombré ainsi qu’une grande quantité de jonques chinoises». Une frégate à vapeur de la marine impériale, «La Guerrière», en escale à Hong Kong, a aussi été endommagée et «est obligée de passer au dock et de subir des réparations qui la retiendront au moins un mois ici».
Ces risques récurrents que font peser les éléments sur Hong Kong conduisent les autorités coloniales à créer, en 1883, le «Royal Observatory», chargé de la mesure du temps, du recueil des données météorologiques et magnétiques et de la prévision des cyclones tropicaux. Un système d’alerte est mis en place et, quand il est déclenché, les tirs d’un canon dédié à cette mission doivent avertir la population et les navires en rade de l’imminence d’un typhon.
Pourtant, le 18 septembre 1906, ce système d’alerte n’a pas fonctionné. Comme le souligne le commandant du contre-torpilleur français «Sabre», en escale dans la rade, «le service du port n’a pas donné l’avis habituel concernant l’approche d’un typhon». Cette grave lacune va provoquer dans les jours qui suivent le désastre une vive polémique, qui met en cause le Royal Observatory et son directeur, sévèrement attaqué par les journaux de la colonie. Pourquoi l’Observatoire n’a-t-il pas donné l’alerte? Etait-il en mesure de le faire? Comment éviter à l’avenir ce genre de drame? En réponse à ces violents débats, le Gouverneur anglais, Sir Matthew Nathan, décide d’établir une Commission d’enquête qui doit déterminer les fautes commises, prendre des sanctions et adopter des mesures préventives.
En effet, le typhon qui a frappé Hong Kong le 18 septembre fut d’une rare violence et l’absence d’alerte a aggravé les dégâts matériels et les pertes humaines. Le consul de France, Auguste Liebert, rappelle dans une dépêche du 3 mai 1908 l’étendue du désastre, qu’il avait déjà décrit dans son rapport de 1906 : «Près de 60 grands navires de type européen, 34 chaloupes à vapeur et des centaines de chalands, d’allèges et de jonques furent coulés, jetés à la côte ou avariés au cours de ce typhon qui ne dura pourtant que 3 heures mais dont le centre passa en plein sur la colonie. La flottille de pêche de Hong Kong, comprenant au moins 1500 barques ou sampans fut coulée et on estime à 7 à 8000 le nombre des chinois qui furent noyés». Les cinq contre-torpilleurs français en escale ont également été touchés et «eurent des avaries plus ou moins graves». La «Fronde», abordée, a sombré et «cinq hommes de l’équipage de ce petit navire disparurent et leurs cadavres n’ont jamais été retrouvés». Ce sont ces pertes causées à la flottille française présente en rade qui ont conduit le consul de France «à intervenir –à titre d’ailleurs privé- dans les travaux de la Commission d’enquête». Il précise : «…et je crois avoir servi par les dépositions que j’ai faites devant la Commission, les intérêts de la navigation dans ce grand port fréquenté par un nombre considérable de navires de guerre et de commerce français».
Les travaux de la Commission d’enquête évoqués par le consul de France durent plusieurs mois et font l’objet de débats au Conseil législatif («Legco») de la colonie en mai 1907. Mais les conclusions du rapport de la Commission ne sont pas à la hauteur des attentes du consul Liebert: «Ainsi qu’il fallait s’y attendre, l’Observatoire -service officiel britannique- a été exonéré =officiellement= (mot souligné par le consul), mais il n’en est pas moins vrai que satisfaction a été donnée à l’opinion publique par la mise à la retraite de son directeur, M. Doberck. Enfin, ce qui vaut mieux encore, des ordres ont été donnés pour que l’Observatoire de Hong Kong tienne compte d’une façon plus sérieuse qu’il ne l’avait fait jusque là des télégrammes météorologiques qui lui sont envoyés par les observatoires de Zi Ka Wei et de Manille». Parmi les autres mesures adoptées, le canon donnant l’alarme est supprimé et remplacé par un système plus élaboré et des abris anti-typhons sont construits, dont celui de Causeway Bay.
Même si l’Observatoire est exonéré de toute faute, les directives données à la suite de la publication du rapport fournissent des indications sur ce qui a pu lui être reproché. Il semble en effet que le Royal Observatory ne tenait guère compte des prévisions météorologiques transmises par l’observatoire de Zi Ka Wei (près de Shanghai, fondé par les Jésuites français en 1873) et par celui de Manille (fondé par les Jésuites espagnols en 1865). Or ces deux observatoires, à la pointe de la technique de l’époque, assuraient depuis des décennies la couverture météorologique des mers de Chine et leurs bulletins d’information étaient utilisés par tous les bâtiments croisant dans ces eaux. Mais, manifestement, l’Observatoire de Hong Kong a ignoré les informations envoyées par Zi Ka Wei et Manille, d’où l’absence d’alerte.
C’est ce que confirment les archives de la Marine Nationale. Ainsi, le 3 novembre 1901, le capitaine de frégate Morazzani, commandant le bâtiment de transport «Nive», en escale à Shanghai, écrit à l’Amiral commandant l’escadre d’Extrême-Orient afin de lui faire part de ses réflexions concernant les typhons observés dans la zone, lettre qu’il communique également à l’observatoire de Zi Ka Wei. Dans sa lettre, le commandant de la «Nive» fait part de sa vision de marin naviguant dans ces eaux où «règne encore de l’incertitude sur l’origine et la trajectoire des cyclones». Le marin, face à ce danger, doit se reposer sur les prévisions des «observatoires de Manille, Hong Kong et Zi Ka Wei (qui) rendent des services inestimables». Mais l’échange d’informations entre ces observatoires est indispensable pour assurer la meilleure prévision possible. Mentionnant ainsi le Révérend Père Froc, météorologiste réputé de Zi Ka Wei : «il lui a suffi en 1898, pendant que Manille n’envoyait plus d’indications, d’un télégramme relatant simplement une indication de vent ne cadrant pas avec le mouvement barométrique de la localité, pour qu’il ait pu avertir les ports d’Extrême-Orient, 3 jours à l’avance, de la menace d’un typhon». Le commandant de la «Nive» recommande donc de «multiplier les points –navires ou observatoires- où l’on recueille des indications météorologiques =contrôlées=».
Le Père Louis Froc répond au commandant de la «Nive» dans une lettre du 5 novembre 1901: «Vous dites que nous avons annoncé un typhon à Hong Kong 3 jours à l’avance: nous l’avons annoncé partout, mais pas à Hong Kong ; c’est le seul port qui ait refusé de recevoir de nous quelque avertissement que ce soit, dont le directeur s’est efforcé de faire enjoindre la même interdiction à l’Observatoire de Manille qui, grâce à ces démarches a, durant quelques semaines, reçu défense expresse de nous annoncer les typhons si redoutés!».
Les archives de la Marine Nationale confirment donc ce que relève le rapport de la Commission d’enquête: l’Observatoire de Hong Kong, systématiquement, refusait de coopérer avec les autres observatoires de la région. Il s’agissait d’une attitude délibérée, sans doute liée à une certaine arrogance de son directeur, qui durait depuis de nombreuses années, au moins depuis huit ans.
Pour autant, le drame aurait-il pu être évité? Les experts contemporains qui ont analysé les données météorologiques du 18 septembre 1906, estiment que, compte-tenu des moyens de l’époque, ce typhon ne pouvait pas être détecté à temps. Les informations sur Hong Kong et sa région diffusées ce jour-là par les observatoires de Zi Ka Wei et Manille ne mentionnent d’ailleurs pas de risque de typhon. Et les descriptions et relevées concernant le typhon qui frappa Hong Kong montrent bien qu’il s’agissait d’un phénomène exceptionnel. Le typhon ne dura en effet que deux heures et demi ou trois heures, période très courte pour un typhon, qui dure généralement un ou plusieurs jours. Le typhon s’est développé soudainement, son diamètre était de faible taille et les vents violents furent très violents. Il s’agissait donc d’un phénomène rare, d’une intensité très forte et brève, et que personne, à l’époque, ne pouvait prévoir.
CR.
Sources : archives du ministère des Affaires étrangères, Nantes ; archives du Service historique de la Défense, section Marine, Toulon ; La Revue Maritime, septembre 1951. Crédit photographique : HKMM.
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