De 1895 à 1897, douze bourgeois lyonnais partent en Asie pour étudier les éventuels débouchés commerciaux. Organisés et méthodiques, ils arpentent ensemble ou séparément différentes parties de la Chine. Louis Rabaud est chargé du rapport sur Hong Kong…
La plupart d’entre eux ont entre trente et quarante ans. Ce sont des négociants confortablement installés à Lyon. Une passion les réunit : voyager et découvrir. En 1895, douze bourgeois laissent leurs affaires en gérance et partent pour un long périple sous le prétexte d’une étude approfondie des débouchés potentiels… en Chine !
Ces bourgeois qui n’ont rien d’aventuriers tirent de leur voyage un gros volume intitulé «La mission lyonnaise d’exploration commerciale en Chine». On y trouve effectivement des rapports détaillés sur la situation économique des plus grandes villes ou des régions les plus intéressantes du point de vue des affaires… mais avant ces pages de chiffres et d’analyse parfois un peu rébarbatives, les marchands lyonnais offrent également un récit précis et détaillé de leurs pérégrinations car, aventuriers ou pas… arpenter la Chine à la fin du XIXe siècle reste un exploit.
Hong Kong a servi de base arrière à un certain nombre d’entre eux et Louis-Marie Rabaud consacre à l’île un rapport enthousiaste. C’est une « colonie merveilleuse, presque uniquement composée d’un port, l’un des premiers du monde ». Il ajoute en note de bas de page les toutes dernières nouvelles : «l’Angleterre a obtenu cette année (1898), sous prétexte de nécessité stratégique, un agrandissement territorial considérable (200 miles carrés) sur la terre ferme en face de Hong Kong et en arrière de Kao-loun». Ce sont les fameux Nouveaux Territoires.
Malgré les typhons le port est considéré comme sûr grâce à ses abris. «L’Angleterre a la spécialité des colonies rocheuses ; elle laisse les autres construire sur le sable, et il faut reconnaître qu’elle excelle dans le choix de ces cailloux, auxquels personne ne voit d’utilité jusqu’au jour où elle démontre, par des moyens forts probants, qu’ils en ont une fort grande». Rabaud détaille ensuite l’urbanisation de l’île et précise, dans le feu de l’actualité, que «ne pouvant toujours monter, on a gagné sur la mer ; en ce moment (octobre 1896) on fait un travail énorme qui donnera plusieurs hectares de terrain à bâtir, sur un quai magnifique». Rappelons qu’à l’origine, la mer borde l’île au niveau de Queen’s road, là où le tram circule actuellement. L’entreprise est grande mais le succès garanti : le Français est étonné d’apprendre que la plupart des entreprises ont déjà «loué leur locaux dans des maisons dont les fondations sont encore sous l’eau».
Le marchand voyageur est ravi et ajoute : «rien n’est négligé pour que les habitants trouvent tout le confort auquel ils sont habitués chez eux, et qui est rendu encore plus nécessaire dans un climat fatiguant. C’est malheureusement une théorie qui n’est pas admise dans toutes les colonies françaises». Il enfonce le clou en comparant Hong Kong à Hai Phong en Indochine. En 1896, la première compte 8000 Européens et 230 000 Chinois tandis que le port français rassemble 900 Européens et 17 500 «indigènes».
L’œil du commerçant reprend le dessus et il s’extasie, «en somme, par un développement merveilleux, la colonie est devenue un centre maritime, commercial, financier, une sorte de marché général pour l’Extrême-Orient. Son commerce a des ramifications dans toutes ces mers lointaines –si peu connues par le grande nombre, chez nous- et son port est en relation directe avec la moitié du monde». Il ajoute que c’est un port franc et qu’il est donc difficile d’obtenir des statistiques sur le mouvement des navires… mais ainsi cette zone échappe «aux nombreux ennuis que crée toujours la douane, même la plus paternelle». Encore une pique pour l’Indochine voisine.
Dans le rapport économique de la mission, les chiffres ne manquent pourtant pas, et les comparaisons édifiantes non plus. On apprend ainsi que, depuis 1894, le tonnage d’entrée et de sortie à Hong Kong est supérieur à celui de Londres, New Castle, Liverpool ou Cardiff. Dans la colonie, un million de tonnes supplémentaires sont accueillies chaque année et le tonnage à l’entrée a triplé en trente ans. Le succès et la progression sont impressionnants. Les deux tiers des bateaux sont anglais mais seize autres nationalités font tourner les affaires ; en tête et en perpétuelle concurrence : les Allemands puis les Français.
Il est précisé qu’un record a été atteint le 5 avril 1895 lorsque 241 navires mouillaient dans le port au même moment, parmi lesquels 69 vapeurs, 8 voiliers et 164 jonques. Le nombre de petites jonques chinoises est incalculable quelque soit la période… La ville s’enorgueillit de 15 millions de tonnes de marchandises de passage chaque année. Les échanges sont denses et Rabaud détaille avec force de chiffres chaque produit en transit dans la colonie britannique. Il disserte longuement sur les rapports avec la Chine. Il pointe notamment le fait que la colonie est surtout un port de transit et qu’une grande partie du commerce a lieu de Chine en Chine… Conclusion : les ouvertures sont intéressantes et Hong Kong est le port où il faut s’installer pour démarrer une activité commerciale avec l’Empire du Milieu.
La main d’œuvre est essentielle et Rabaud reconnaît qu’une «aide puissante est donnée au mouvement du port de Hong Kong par le grand nombre d’émigrants chinois qui passent chaque année». En 1895, 73 000 sorties et plus de 112000 entrées… Du point de vue industriel, «Hong Kong est déjà bien doté». Il cite entre autres le cas de la Taikoo sugar refining C° qui fournit jusqu’à «un million de kilogrammes de sucre raffiné» par an. Encore aujourd’hui, c’est le principal producteur de sucre à Hong Kong. Reste à ausculter les milieux de la finance. Louis Rabaud recense 172 compagnies d’assurances et il lui est impossible de dire combien de banques sont représentées. Tous les établissements bancaires de tous les pays essayent d’implanter une succursale ; il conclut, «Hong Kong est devenu un marché d’argent, un foyer de spéculation».
Ces bourgeois qui n’ont rien d’aventuriers tirent de leur voyage un gros volume intitulé «La mission lyonnaise d’exploration commerciale en Chine». On y trouve effectivement des rapports détaillés sur la situation économique des plus grandes villes ou des régions les plus intéressantes du point de vue des affaires… mais avant ces pages de chiffres et d’analyse parfois un peu rébarbatives, les marchands lyonnais offrent également un récit précis et détaillé de leurs pérégrinations car, aventuriers ou pas… arpenter la Chine à la fin du XIXe siècle reste un exploit.
Hong Kong a servi de base arrière à un certain nombre d’entre eux et Louis-Marie Rabaud consacre à l’île un rapport enthousiaste. C’est une « colonie merveilleuse, presque uniquement composée d’un port, l’un des premiers du monde ». Il ajoute en note de bas de page les toutes dernières nouvelles : «l’Angleterre a obtenu cette année (1898), sous prétexte de nécessité stratégique, un agrandissement territorial considérable (200 miles carrés) sur la terre ferme en face de Hong Kong et en arrière de Kao-loun». Ce sont les fameux Nouveaux Territoires.
Malgré les typhons le port est considéré comme sûr grâce à ses abris. «L’Angleterre a la spécialité des colonies rocheuses ; elle laisse les autres construire sur le sable, et il faut reconnaître qu’elle excelle dans le choix de ces cailloux, auxquels personne ne voit d’utilité jusqu’au jour où elle démontre, par des moyens forts probants, qu’ils en ont une fort grande». Rabaud détaille ensuite l’urbanisation de l’île et précise, dans le feu de l’actualité, que «ne pouvant toujours monter, on a gagné sur la mer ; en ce moment (octobre 1896) on fait un travail énorme qui donnera plusieurs hectares de terrain à bâtir, sur un quai magnifique». Rappelons qu’à l’origine, la mer borde l’île au niveau de Queen’s road, là où le tram circule actuellement. L’entreprise est grande mais le succès garanti : le Français est étonné d’apprendre que la plupart des entreprises ont déjà «loué leur locaux dans des maisons dont les fondations sont encore sous l’eau».
Le marchand voyageur est ravi et ajoute : «rien n’est négligé pour que les habitants trouvent tout le confort auquel ils sont habitués chez eux, et qui est rendu encore plus nécessaire dans un climat fatiguant. C’est malheureusement une théorie qui n’est pas admise dans toutes les colonies françaises». Il enfonce le clou en comparant Hong Kong à Hai Phong en Indochine. En 1896, la première compte 8000 Européens et 230 000 Chinois tandis que le port français rassemble 900 Européens et 17 500 «indigènes».
L’œil du commerçant reprend le dessus et il s’extasie, «en somme, par un développement merveilleux, la colonie est devenue un centre maritime, commercial, financier, une sorte de marché général pour l’Extrême-Orient. Son commerce a des ramifications dans toutes ces mers lointaines –si peu connues par le grande nombre, chez nous- et son port est en relation directe avec la moitié du monde». Il ajoute que c’est un port franc et qu’il est donc difficile d’obtenir des statistiques sur le mouvement des navires… mais ainsi cette zone échappe «aux nombreux ennuis que crée toujours la douane, même la plus paternelle». Encore une pique pour l’Indochine voisine.
Dans le rapport économique de la mission, les chiffres ne manquent pourtant pas, et les comparaisons édifiantes non plus. On apprend ainsi que, depuis 1894, le tonnage d’entrée et de sortie à Hong Kong est supérieur à celui de Londres, New Castle, Liverpool ou Cardiff. Dans la colonie, un million de tonnes supplémentaires sont accueillies chaque année et le tonnage à l’entrée a triplé en trente ans. Le succès et la progression sont impressionnants. Les deux tiers des bateaux sont anglais mais seize autres nationalités font tourner les affaires ; en tête et en perpétuelle concurrence : les Allemands puis les Français.
Il est précisé qu’un record a été atteint le 5 avril 1895 lorsque 241 navires mouillaient dans le port au même moment, parmi lesquels 69 vapeurs, 8 voiliers et 164 jonques. Le nombre de petites jonques chinoises est incalculable quelque soit la période… La ville s’enorgueillit de 15 millions de tonnes de marchandises de passage chaque année. Les échanges sont denses et Rabaud détaille avec force de chiffres chaque produit en transit dans la colonie britannique. Il disserte longuement sur les rapports avec la Chine. Il pointe notamment le fait que la colonie est surtout un port de transit et qu’une grande partie du commerce a lieu de Chine en Chine… Conclusion : les ouvertures sont intéressantes et Hong Kong est le port où il faut s’installer pour démarrer une activité commerciale avec l’Empire du Milieu.
La main d’œuvre est essentielle et Rabaud reconnaît qu’une «aide puissante est donnée au mouvement du port de Hong Kong par le grand nombre d’émigrants chinois qui passent chaque année». En 1895, 73 000 sorties et plus de 112000 entrées… Du point de vue industriel, «Hong Kong est déjà bien doté». Il cite entre autres le cas de la Taikoo sugar refining C° qui fournit jusqu’à «un million de kilogrammes de sucre raffiné» par an. Encore aujourd’hui, c’est le principal producteur de sucre à Hong Kong. Reste à ausculter les milieux de la finance. Louis Rabaud recense 172 compagnies d’assurances et il lui est impossible de dire combien de banques sont représentées. Tous les établissements bancaires de tous les pays essayent d’implanter une succursale ; il conclut, «Hong Kong est devenu un marché d’argent, un foyer de spéculation».
FD.
Sources : La mission lyonnaise d’exploration commerciale en Chine, 1898.Remerciements à M. Yves Azémar et son inépuisable librairie d'ouvrages anciens sur l'Asie, 89 Hollywood road - Hong Kong.
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