En 1881, un voyageur français fait escale à Hong Kong dans l’idée de repartir immédiatement pour Canton. Un imprévu l’amène à rester dans la colonie britannique avant qu’une occasion inattendue le conduise ailleurs. Edmond Cotteau voyage ainsi, au gré des rencontres. Entre temps, il pose ses valises et sillonne la ville.
Edmond Cotteau est un grand voyageur ; ni pionnier ni explorateur, il se dit touriste et arpente la Terre de l’Amérique à l’Asie, par simple curiosité intellectuelle. Il laisse des récits vivants et documentés qui lui donnent une solide réputation en son temps. Au début des années 1880, il est chargé par le gouvernement français d’une mission scientifique en Sibérie et au Japon. Il accomplit son devoir avec zèle, puis décide de revenir en Europe par la mer via le Sud-Est de l’Asie. Un périple qui le conduit jusqu’à Hong Kong.
Il vient de Shanghaï à bord du «Yang-Tsé» ; son arrivée dans la colonie britannique est mouvementée. Alors que le navire entre dans le port, on lui montre un grand bateau à vapeur blanc qui chauffe le long du quai. Il s’agit de celui qui assure la liaison quotidienne entre Hong Kong et Canton et qui part, tous les matins, à 6h précise. Edmond Cotteau n’est pas particulièrement attiré par l’île Victoria, mais tient absolument à visiter Canton. Il décide donc de profiter immédiatement de l’occasion. «Mon bagage est prêt ; à peine l’ancre a-t-elle touché le fond que je me précipite dans un sampan. La distance est assez longue, mais mon batelier fait force de rame, et je parviens à toucher le but, juste au moment où retentit le troisième coup de sifflet réglementaire, signal d’un départ imminent. Par malheur, nous avons accosté du côté opposé de la coupée ; rapidement nous faisons le tour du navire ; j’escalade la jetée à l’instant même où se déroulent les amarres. On retire la planche ; je puis encore sauter ; ma valise me retient au rivage, j’hésite une seconde : c’en est assez pour que le fossé, s’élargissant lentement, m’enlève toute possibilité de le franchir, et je reste sur le quai, faisant piteuse figure devant les rires moqueurs des passagers chinois».
Cette seconde d’hésitation laisse notre touriste à Hong Kong. Il n’ira même pas à Canton par la suite. Alors qu’il est encore sur le quai et que le bateau de Canton s’éloigne sans lui, «une nuée de coolies s’était ruée sur mon bagage ; c’était une bousculade, des cris et des gestes dont on n’a pas idée. Je pris le parti héroïque de reconquérir ma malle, à la force du poignet ; puis, m’asseyant dessus en tenant mon sac entre mes jambes, je m’en rapportai pour le reste à la Providence, laquelle ne tarda pas à se manifester sous la forme d’un majestueux policeman hindou, au teint bronzé, aux formes athlétiques. A sa vue, le tapage cesse comme par enchantement ». Le policier est Sikh et Cotteau sympathise avec lui en marmonnant des souvenirs d’hindoustani et en évoquant son voyage en Inde quelques années auparavant.
Une fois installé, le Français commence par se renseigner sur cette destination imprévue et retrace la jeune histoire de la colonie sans omettre un détail peu connu : «Cette île fait partie du groupe des Ladrones (voleurs en portugais), ainsi nommée autrefois par les Portugais de Macao, à cause du penchant de leurs habitants à la piraterie». Et de continuer en s’extasiant sur les choix et les résultats de l’administration britannique : «C’est un des plus magnifiques ports du monde ; entouré de montagnes pittoresques, il réunit dans le même tableau, comme le dit un auteur anglais, l’aspect sauvage des paysages de l’Ecosse à la beauté classique de l’Italie, encore rehaussée par la splendeur de la nature tropicale».
L’historique et les descriptions passés, Edmond Cotteau parle chiffre et s’attarde sur l’impressionnante capacité commerciale de la ville. Il annonce par exemple qu’en 1879, la part du Royaume-Uni dans le commerce de la Chine s’élève à presque 900 millions de francs, dont 545 pour Hong Kong. Le voyageur brocarde au passage la France dont les chiffres sont très loin de ces résultats.
Au petit matin, le touriste arpente les quais et Queen’s road. « Cette rue est fort animée ; de grands magasins européens et chinois étalent leur marchandises de l’Europe et de l’Asie. Les maisons sont ornées d’arcades et de portiques, non seulement au rez-de-chaussée, mais encore aux différents étages : précaution excellente pour intercepter les rayons du soleil et rafraîchir les appartements». Car même si c’est novembre au passage d’Edmond Cotteau, le Français à chaud… très chaud. Dans le port, il observe l’activité des autochtones : «Ici la plupart des sampans sont conduits par des femmes. Comme les hommes, elles portent des fardeaux et rament courageusement, ayant souvent sur leur dos, enveloppé dans un morceau d’étoffe, un bébé dont la tête ballante suit tous leurs mouvements. Le bateau sert de logement à toute la famille ; on y fait la cuisine dans un vase en terre. Des enfants grouillent dans tous les recoins ; hier, dans mon sampan, en levant la planche sur laquelle j’étais assis, j’en ai vu trois, blottis au fond».
Edmond Cotteau découvre la ville depuis les bas-fonds miséreux jusque sur les hauteurs luxueuses du Pic. Ses aventures avec les coolies sont nombreuses : il lui est impossible d’aller où il veut faute de se faire comprendre. Les trajets demandés s’achèvent toujours à une autre destination. Il découvre ainsi le Jardin botanique, «une merveille». «Sur les pentes escarpées, les Anglais ont su créer de belles pelouses d’un gazon toujours vert, et faire croître sur un rocher, autrefois nu et sans eau, les arbres les plus gracieux des tropiques».
Le Français hésite sur sa destination suivante : on lui déconseille fortement les Philippines à cause du choléra et des tracasseries de l’administration espagnole et, alors qu’il essaye d’organiser son escapade vers Canton, un nouvel événement l’en détourne. Lors d’un dîner chez un compatriote négociant du nom de Marty, il rencontre un couple installé depuis plusieurs années à Hai-Phong en Indochine. Ces derniers parlent si bien du Tonkin et des merveilles de leur région que le lendemain matin, Edmond Cotteau est avec eux à bord d’un nouveau navire pour une nouvelle destination… toute aussi imprévue que la précédente.
Il vient de Shanghaï à bord du «Yang-Tsé» ; son arrivée dans la colonie britannique est mouvementée. Alors que le navire entre dans le port, on lui montre un grand bateau à vapeur blanc qui chauffe le long du quai. Il s’agit de celui qui assure la liaison quotidienne entre Hong Kong et Canton et qui part, tous les matins, à 6h précise. Edmond Cotteau n’est pas particulièrement attiré par l’île Victoria, mais tient absolument à visiter Canton. Il décide donc de profiter immédiatement de l’occasion. «Mon bagage est prêt ; à peine l’ancre a-t-elle touché le fond que je me précipite dans un sampan. La distance est assez longue, mais mon batelier fait force de rame, et je parviens à toucher le but, juste au moment où retentit le troisième coup de sifflet réglementaire, signal d’un départ imminent. Par malheur, nous avons accosté du côté opposé de la coupée ; rapidement nous faisons le tour du navire ; j’escalade la jetée à l’instant même où se déroulent les amarres. On retire la planche ; je puis encore sauter ; ma valise me retient au rivage, j’hésite une seconde : c’en est assez pour que le fossé, s’élargissant lentement, m’enlève toute possibilité de le franchir, et je reste sur le quai, faisant piteuse figure devant les rires moqueurs des passagers chinois».
Cette seconde d’hésitation laisse notre touriste à Hong Kong. Il n’ira même pas à Canton par la suite. Alors qu’il est encore sur le quai et que le bateau de Canton s’éloigne sans lui, «une nuée de coolies s’était ruée sur mon bagage ; c’était une bousculade, des cris et des gestes dont on n’a pas idée. Je pris le parti héroïque de reconquérir ma malle, à la force du poignet ; puis, m’asseyant dessus en tenant mon sac entre mes jambes, je m’en rapportai pour le reste à la Providence, laquelle ne tarda pas à se manifester sous la forme d’un majestueux policeman hindou, au teint bronzé, aux formes athlétiques. A sa vue, le tapage cesse comme par enchantement ». Le policier est Sikh et Cotteau sympathise avec lui en marmonnant des souvenirs d’hindoustani et en évoquant son voyage en Inde quelques années auparavant.
Une fois installé, le Français commence par se renseigner sur cette destination imprévue et retrace la jeune histoire de la colonie sans omettre un détail peu connu : «Cette île fait partie du groupe des Ladrones (voleurs en portugais), ainsi nommée autrefois par les Portugais de Macao, à cause du penchant de leurs habitants à la piraterie». Et de continuer en s’extasiant sur les choix et les résultats de l’administration britannique : «C’est un des plus magnifiques ports du monde ; entouré de montagnes pittoresques, il réunit dans le même tableau, comme le dit un auteur anglais, l’aspect sauvage des paysages de l’Ecosse à la beauté classique de l’Italie, encore rehaussée par la splendeur de la nature tropicale».
L’historique et les descriptions passés, Edmond Cotteau parle chiffre et s’attarde sur l’impressionnante capacité commerciale de la ville. Il annonce par exemple qu’en 1879, la part du Royaume-Uni dans le commerce de la Chine s’élève à presque 900 millions de francs, dont 545 pour Hong Kong. Le voyageur brocarde au passage la France dont les chiffres sont très loin de ces résultats.
Au petit matin, le touriste arpente les quais et Queen’s road. « Cette rue est fort animée ; de grands magasins européens et chinois étalent leur marchandises de l’Europe et de l’Asie. Les maisons sont ornées d’arcades et de portiques, non seulement au rez-de-chaussée, mais encore aux différents étages : précaution excellente pour intercepter les rayons du soleil et rafraîchir les appartements». Car même si c’est novembre au passage d’Edmond Cotteau, le Français à chaud… très chaud. Dans le port, il observe l’activité des autochtones : «Ici la plupart des sampans sont conduits par des femmes. Comme les hommes, elles portent des fardeaux et rament courageusement, ayant souvent sur leur dos, enveloppé dans un morceau d’étoffe, un bébé dont la tête ballante suit tous leurs mouvements. Le bateau sert de logement à toute la famille ; on y fait la cuisine dans un vase en terre. Des enfants grouillent dans tous les recoins ; hier, dans mon sampan, en levant la planche sur laquelle j’étais assis, j’en ai vu trois, blottis au fond».
Edmond Cotteau découvre la ville depuis les bas-fonds miséreux jusque sur les hauteurs luxueuses du Pic. Ses aventures avec les coolies sont nombreuses : il lui est impossible d’aller où il veut faute de se faire comprendre. Les trajets demandés s’achèvent toujours à une autre destination. Il découvre ainsi le Jardin botanique, «une merveille». «Sur les pentes escarpées, les Anglais ont su créer de belles pelouses d’un gazon toujours vert, et faire croître sur un rocher, autrefois nu et sans eau, les arbres les plus gracieux des tropiques».
Le Français hésite sur sa destination suivante : on lui déconseille fortement les Philippines à cause du choléra et des tracasseries de l’administration espagnole et, alors qu’il essaye d’organiser son escapade vers Canton, un nouvel événement l’en détourne. Lors d’un dîner chez un compatriote négociant du nom de Marty, il rencontre un couple installé depuis plusieurs années à Hai-Phong en Indochine. Ces derniers parlent si bien du Tonkin et des merveilles de leur région que le lendemain matin, Edmond Cotteau est avec eux à bord d’un nouveau navire pour une nouvelle destination… toute aussi imprévue que la précédente.
FD.
Sources : COTTEAU, Edmond, Un touriste dans l’Extrême Orient, Hachette, Paris, 1883.
Remerciements à M. Yves Azémar et son inépuisable librairie d'ouvrages anciens sur l'Asie, 89 Hollywood road - Hong Kong.
Remerciements à M. Yves Azémar et son inépuisable librairie d'ouvrages anciens sur l'Asie, 89 Hollywood road - Hong Kong.
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