lundi 10 novembre 2008

Paul Claudel et le spleen de Hong Kong

Le diplomate et dramaturge mystique n’a jamais vécu à Hong Kong. Pourtant, la colonie britannique est liée à son œuvre, à sa carrière… et à son grand amour: Rosalie Vetch.
Dans le billet du jeudi 2 octobre, nous avons évoqué la passion sulfureuse de Paul Claudel et Rosalie Vetch ; une relation née au cours d’un voyage vers la Chine en 1900. Le jeune diplomate rejoint alors son poste à Fou-Tchéou et c’est précisément là que l’escroc Francis Vetch, ainsi que sa femme et ses quatre enfants, comptent se rendre pour faire fortune. Marie-Josèphe Guers, auteur d’une thèse d’Etat sur Claudel et du roman «La maîtresse du Consul» est formelle: Rosalie n’est pas tombée par hasard dans les bras du dramaturge. Celui-ci est pataud dans ses apparences et semble être la cible idéale pour le couple d’aventuriers. Rosalie et Francis Vetch ne connaissent, à cette époque, rien de l’Asie et veulent s’appuyer sur Paul Claudel, en poste dans la région depuis 1895.
C’est sans compter sur le charisme et la puissance intellectuelle du diplomate. Ce dernier propose d’héberger la famille pour les aider. Francis Vetch s’éloigne rapidement, occupé à combiner ses multiples trafics, et Rosalie Vetch succombe sincèrement aux charmes du consul. Pendant quatre ans, elle vit un amour fou avec Paul Claudel, au point même que le fonctionnaire du quai d’Orsay refuse une promotion de taille en 1904: le consulat de Hong Kong! Il préfère rester à Fou-Tchéou pour Rosalie. Hong Kong représente pour lui une Chine pervertie, par les Anglais et le modernisme. C’est une marque de profond désintéressement pour la carrière diplomatique mais aussi l’aveu de sa passion pour une Chine qu’il juge plus authentique.
En 1904, sa maîtresse tombe enceinte et retourne en Europe. Elle fuit. En avril 1905, Paul Claudel et Francis Vetch se retrouvent associés dans une rocambolesque expédition, à arpenter ensemble la Belgique et les Pays-Bas pour retrouver Rosalie, en vain. Ils apprennent à cette période, que leur femme et maîtresse a décidé de refaire sa vie avec un troisième homme. Cette liaison et sa triste fin sont une étape décisive dans la vie et l’œuvre de l’auteur.
Claudel reste lié avec les enfants Vetch; il aide Gaston à entrer à la Société des Nations, protège Louise, l’unique fille, et entretient des liens étroits avec Henri, libraire à Pékin dans l’entre-deux guerres et plus tard éditeur… à Hong Kong. Robert, l’aîné devenu missionnaire catholique, est le seul à rester longuement attaché à son père naturel. Toujours absent, Francis Vetch ne se formalise pas d’être remplacé. Il court ailleurs, à d’autres affaires.
Pourquoi toutes ces histoires et quel lien encore avec Hong Kong ? «Le partage de midi», bien sûr. Cette pièce de théâtre de Paul Claudel est éminemment autobiographique. Le premier acte se joue sur un navire en partance pour Hong Kong et le second dans un cimetière de la colonie britannique qui ne peut être inspiré que de celui de Happy Valley. Tous les personnages sont à leur place, sous d’autres noms, et la tragédie amoureuse reprend sur scène.
Enfin, dans l’édition de 1927 du recueil «Connaissance de l’Est», Claudel ajoute dans la préface un poème intitulé «Hong Kong». Le texte commence ainsi: «Hong Kong et les îles qui en escortent l’entrée, tout cela est si petit à présent derrière nous qu’on le mettrait dans sa poche». Là encore, la tristesse et l’amertume transparaissent; c’est un chant du départ, un adieu déchirant et plein de nostalgie… Et c’est dans le port de Hong Kong que ce chante cette oraison funèbre.

FD.

Sources : Archives du ministère des Affaires Etrangères, Nantes ; Marie-Josèphe Guers, La maîtresse du Consul, Albin Michel, 2000 ; Paul Claudel, Connaissance de l’Est, Gallimard, 1927.

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