jeudi 30 octobre 2008

La communauté française de Hong Kong en 1919

En 1919, près de 80 ans après la fondation de Hong Kong et 60 ans après l’ouverture du consulat de France, moins d’une centaine de Français vivent à Hong Kong. Ils travaillent dans des maisons de commerce françaises ou oeuvrent au sein d’institutions religieuses. Administrateur de cette communauté, du fait de ses fonctions, le consul de France de l’époque fait le point…
Le consul de France est souvent considéré comme le «chef de la communauté française» de sa circonscription. Depuis l’apparition de l’institution consulaire, à l’époque des croisades, le consul a en effet comme missions l’administration mais aussi la protection de ses compatriotes. Rattachés à la Marine par Colbert en 1669, les consuls dépendent du ministère des Affaires étrangères depuis la Révolution. Il incombe au consul de bien connaître «ses» Français et de transmettre régulièrement au ministère des Affaires étrangères un rapport sur la communauté française dont il a la charge. Au fil des décennies, ces véritables «instantanés» nous permettent de suivre les évolutions de la population française vivant à Hong Kong. Ainsi, le 24 décembre 1919, le consul de France, Ulysse-Raphaël Réau, envoie à Paris une de ses dernières dépêches de l’année, qu’il consacre au recensement de ses administrés.
La «colonie française de Hong Kong», comme la nomme le consul, se monte à 85 personnes. Le chiffre peut paraître modeste, Hong Kong comptant alors environ 600 000 habitants, dont 13600 «non-chinois», mais le consul note aussi que «le chiffre de nos nationaux a plus que doublé depuis 1914 et que six firmes nouvelles ont été créées». La Première guerre mondiale n’a donc pas réduit les effectifs de la communauté française de Hong Kong, comme ce sera le cas vingt ans plus tard, en 1940.
La moitié des membres de la communauté française travaille au sein d’une «vingtaine de maisons françaises» qui, «d’une manière générale […] sont prospères». Les conséquences économiques du conflit qui vient de se terminer en Europe se font cependant sentir et le consul relève que les compagnies françaises qui «se livrent au commerce d’importation et d’exportation souffrent des conditions difficiles que leur créent la hausse du dollar, la cherté du fret et, en France, la stagnation de notre industrie». Problème économique, récurrent, des débouchés, des capacités de l’offre et des évolutions du taux de change: «leurs commandes d’articles français ne peuvent être exécutées et, d’autre part, leurs exportations de produits chinois vers la France sont arrêtées par le change élevé du dollar».
Six firmes françaises ont cependant pu s’installer à Hong Kong pendant la guerre, dont une banque, la Banque Industrielle de Chine, une compagnie de navigation, Lapicque et Cie et des sociétés de commerce, dont la maison Lily, qui importe des articles de mode. Ces six nouvelles sociétés françaises s’ajoutent à la douzaine de sociétés qui existaient avant 1914, dont la Banque de l’Indochine, pendant quarante ans seule banque française à Hong Kong et les Messageries Maritimes, installées dans la colonie depuis ses débuts. Outre la banque et la navigation, illustrées par ces deux établissements réputés, les Français de Hong Kong sont présents dans d’autres secteurs d’activité. On relève ainsi l’énergie, avec les Charbonnages du Tonkin, la Société d’Oxygène et d’Acétylène et Ricou et Cie , la photo avec Pathé Frères, la bijouterie et l’horlogerie, avec Ulmann et Sennet Frères, l’hôtellerie avec Astor House, la mode avec Flint et enfin l’import-export avec Sennet Frères.
A la quarantaine de Français travaillant au sein de ces maisons françaises et à leurs familles, s’ajoute une trentaine de Pères, Frères et Sœurs oeuvrant au sein des institutions religieuses françaises. Le consul de France recense la Mission Catholique, la Procure des Missions Etrangères de Paris, l’Imprimerie de Nazareth et les établissements fondés par les Sœurs de Saint Paul de Chartres, l’hôpital, l’orphelinat et le couvent.
Il y a 90 ans, la communauté française de Hong Kong, malgré sa taille réduite, est donc déjà à l’image de ce qu’elle deviendra après la Seconde guerre mondiale, dynamique et active dans de multiples secteurs liés au rôle de Hong Kong comme carrefour de l’Asie.

CR.

Sources : Archives du ministère des Affaires étrangères, Nantes – «Historical and statistical abstracts of Hong Kong 1841-1930». Crédits photos : HKMM, Crédit Agricole.


lundi 27 octobre 2008

Sous la plume d’Anne Thiollier, Tom découvre Hong Kong

En 1997, Anne Thiollier publie le roman Hong Kong story ; les aventures d’un petit français qui découvre la colonie britannique alors que ses parents y sont envoyés pour le travail. Retour sur l’histoire de Tom en compagnie de l’auteur, grande passionnée de la Chine et de Hong Kong.
Depuis le début des années 1980, Anne Thiollier écrit pour la littérature de jeunesse. Elle a longuement vécu en Asie et toutes ses histoires, de Petite Wang à Tao le malin en passant par Le thé aux huit trésors ont pour cadre la Chine. L’ouverture sur une culture différente et des univers dépaysants, c’est la recette efficace de cet auteur qui n’a évidemment pas manqué, au cours de sa carrière, d’évoquer Hong Kong.
«Lorsque je vivais à Hong Kong, j’étais un peu accablée par certaines familles qui arrivaient comme elles seraient arrivés à Tombouctou ou ailleurs, sans aucun intérêt pour la culture locale, se souvient-elle. Peu de personnes font les efforts nécessaires pour s’imprégner de ce qu’il y a autour. C’est parfois un peu difficile en Chine avec la barrière de la langue, mais à Hong Kong, tout est beaucoup plus facile». C’est la genèse de Hong Kong story, publié en 1997 chez Casterman.
«Ce livre veut juste dire aux enfants qu’il faut savoir regarder, ajoute Anne Thiollier. C’est ce que je faisais moi-même pour le préparer. Je me baladais en ville ; je prenais des notes, des photos et dessinait beaucoup de croquis». Le héros, Tom, est un jeune collégien dont les parents viennent de déménager. Le garçon a du mal à s’adapter à cette première expatriation. Il est perdu, ne comprend rien… mais ne tarde pas à faire connaissance d’un Chinois de son âge qui lui sert de guide.
Tout ce qui est raconté sur Hong Kong est vrai. «Toutes les anecdotes et péripéties sur le chemin de Tom me sont arrivées ou alors je les ai lues dans les journaux, insiste l’auteur. Souvent, je me sers de coupures de presses que je collecte et garde dans un coin avant de les utiliser. L’échafaudage de bambous qui s’effondre, c’est arrivé. L’affaire des enfants qui se droguaient au sirop pharmaceutique, c’est vrai. Les grands-mères qui trient les germes de soja à Wan Chai, je l’ai vu». Le roman est agrémenté de nombreux dessins fait sur le vif, dans les rues.
Anne Thiollier est arrivée en Asie en 1976. «Avec mon mari, nous avons vécu un peu partout en Chine, et notamment à Hong Kong de 1991 à 1996. Après nos études, nous avions envie de voyager, raconte-t-elle. Le stage de fin d’étude de mon mari s’est déroulé à Hong Kong en dans le cadre du projet de construction du métro. C’était juste deux mois, mais à notre retour nous avons juré que nous ferions tout ce qui était possible pour repartir!».
Le récit de Hong Kong story se déroule au milieu des années 1990. «C’est incroyable comment cette ville a changé rapidement en quelques années!» Et l’écrivain d’être encore sous le charme : «Hong Kong n’est pas seulement une ville verticale où l’on fait du shopping ; je voulais montrer les cultes, les traditions, toute l’âme chinoise mélangée à la modernité. Hong Kong, c’est aussi cette nature et tous les sentiers de randonnée des Nouveaux Territoires et les alentours».
Tom est représentatif du petit Français moyen qui débarque à l’étranger avec des parents peu motivés. «Quand le livre est paru, je suis allé le présenter au lycée français. Les enfants se projetaient bien dans cette histoire, ils pouvaient facilement se reconnaître». Anne Thiollier fait figure de référence dans la littérature pour enfants sur l’Asie. «Les éditeurs apprécient, même s’ils ne sont pas toujours très attentifs. Je me suis battu à chaque édition et réédition pour qu’une des images du livre, la vignette de tête du chapitre un où l’on voit des enseignes lumineuses avec des caractères chinois, soit imprimée à l’endroit et donc lisible: ils s’en fichent. C’est un manque de respect du travail de l’illustrateur qui m’attriste un peu».
Aujourd’hui, Anne Thiollier vit à Paris, où elle prépare son nouveau roman. «Hong Kong, et la Chine en général, me manquent. J’essaye de revenir le plus souvent possible». Tom est devenu grand, mais de nouvelles générations d’écoliers continuent de suivre son parcours, des rues de Wan Chai aux jonques du port.
FD.

Sources : Anne Thiollier, Hong Kong story, Casterman, 1997.


Photo: Anne Thiollier et ses enfants à Hong Kong en 1991.

jeudi 23 octobre 2008

La résistance passive du consul Reynaud

En 1940, le ralliement à la France Libre de De Gaulle est loin d’être une évidence pour tous. Louis Reynaud, consul de France à Hong Kong est enthousiaste après l’appel du Général, mais doit rapidement faire face à sa hiérarchie. Avec la débâcle, les camps s’affichent clairement et le Consul, âgé et aux pouvoirs limités, se retrouve isolé.
Louis Reynaud est arrivé en Chine en 1907 comme élève interprète du ministère des Affaires Etrangères. Anglophile et sinophile, il est nommé à Hong Kong en 1938. Dans sa correspondance, c’est moins l’attachement administratif qui ressort qu’une véritable passion pour son lieu de résidence.
Alors que la France plie sous le joug allemand, il répond positivement à l’appel du 18 juin 1940 : «Groupée autour de moi, la colonie française de Hong Kong s’indigne contre toute idée d’armistice et de paix séparée et se révolte à la pensée d’une telle trahison vis-à-vis de nos alliés et de l’humanité». Après juillet 1940, il n’y a théoriquement plus aucun haut fonctionnaire français ouvertement partisan de la France Libre. Tous doivent prêter serment au Maréchal et accepter l’Occupation. C’est la condition pour rester en poste… Louis Reynaud est peut-être une des très rares exceptions. Si le Consul Général de France à Hong Kong n’a pas brillé par quelques faits d’armes ou actions éclatantes, il a eu le courage de prendre des positions claires et de les tenir.Après une vie entière vouée à la Carrière diplomatique, à la hiérarchie du ministère des Affaires Etrangères, aux politesses utiles et aux propos feutrés, Louis Reynaud renie son gouvernement et tombe en disgrâce. Replacé dans le contexte professionnel et dans la mentalité de son époque, c’est un bel acte de courage.
Rapidement, le ministère des Affaires Etrangères de Vichy s’étonne «de trouver sous la forme d’une empreinte à l’encre violette apposée près de l’en-tête l’insigne du parti de Gaulle». Des explications sont demandées d’extrême urgence sur cette habitude persistante. Reynaud répond qu’il s’agit «tout simplement du V de la Victoire». Le gouverneur général d’Indochine se dit choqué et lui demande de cesser immédiatement.
Ce rappel à l’ordre coïncide par ailleurs avec la démission inopinée du chancelier du consulat, Raoul Duval. L’ambassade de France à Pékin réclame des éclaircissements. Serait-il entré en dissidence ? Louis Reynaud couvre son subalterne et répond évasivement. Les avertissements soupçonneux se multiplient alors que d’autres sources confirment que Duval est parti pour San Francisco avec femme et enfants, non sans témoigner de son attachement à la France Libre.
Lorsque l’ambassadeur de France à Pékin, Cosme, rappelle une énième fois à Louis Reynaud qu’il doit cesser d’apposer le V de Victoire sur ses courriers, il précise que la France de Vichy est neutre dans le conflit qui se déroule. Reynaud explose et sort de sa réserve : «Votre Excellence n’ignore vraisemblablement pas que le V de la Victoire est le signe de ralliement de tous les peuples qui, aspirant à rester libres ou à secouer le joug odieux de l’oppresseur, luttent par tous les moyens en leur pouvoir contre l’Allemagne et ses satellites et leur plan de domination et d’esclavage du monde. Il me semble que la France ne saurait rester indifférente à ce mouvement, mais si le mot d’ordre est de considérer que la France est neutre dans un conflit qui déchire le monde, je serais reconnaissant à Votre Excellence de vouloir bien me faire savoir comment le Gouvernement Français peut autoriser et même encourager le recrutement de volontaires pour combattre avec l’Allemagne contre la Russie».
Le ton est sans appel et l’ambassadeur en tire les conclusions nécessaires : «Il en résulte clairement que cet agent est passé à la dissidence». La réflexion s’étend d’ailleurs à «la quasi-unanimité des Français de Hong-Kong» qui font preuve «de manifestations sinon de Gaullisme, du moins de pro-britannisme».
En septembre 1940, l’ambassade de France prend des mesures et l’isolement commence. Ordre est envoyé à tous les consulats de Chine de «suspendre toute correspondance avec le consulat de France à Hong Kong et notamment [de] cesser dès à présent d’envoyer des fonds à ce poste». Les tables de déchiffrement pour les messages codés sont modifiées et Reynaud ne peut donc plus lire les correspondances confidentielles. La Trésorerie n’alimente plus le consulat qui se trouve donc sans ressources. Il n’y a plus ni budget de fonctionnement, ni salaires.
L’ambassade de France à Pékin est ennuyée. Comment renverser ce Consul dissident? Cosme écrit au Ministre des Affaires Etrangères de Vichy, l’amiral Darlan : «Je suis dépourvu de tout moyen d’action contre M. Reynaud puisque celui-ci réside sur un territoire britannique où je ne peux envisager de procéder à une action d’autorité». Cosme demande d’abord sa destitution officielle, mais les préoccupations sont ailleurs et la réponse tarde; puis l’ambassadeur doute: «Notre intérêt est peut-être d’y conserver [à Hong Kong] un consulat, fut-il boîteux, plutôt que d’ouvrir dans une colonie britannique une crise qui nous ferait en définitive plus de mal que de bien».
De son côté, Louis Reynaud ne renie pas la France mais son gouvernement. Son sens du devoir et peut-être un certain orgueil le poussent à continuer envers et contre tout ses activités, même sur ses deniers personnels. Il maintient la correspondance avec tous les postes diplomatiques, donnant des nouvelles banales, mais jamais confidentielles. En 36 ans de carrière, les amitiés de Reynaud sont nombreuses et il reçoit de la part de certains hauts fonctionnaires, des demandes pressantes pour rentrer dans le rang. Reynaud rassure ses amis de manière laconique.
Lorsque les Japonais pénètrent dans Hong Kong en décembre 1941, Louis Reynaud envoie un message pour déclarer que les ressortissants sont sains et saufs. A la fin des combats, il annonce non sans fierté le nombre de Français volontaires qui se sont engagés aux côtés des Britanniques et le nombre de prisonniers et portés disparus. Il rend hommage au secrétaire annamite du consulat, James Dao, tué alors qu’il prenait son service au poste de défense contre les alertes aériennes. Il évoque enfin le groupe de marins qui a collaboré à la défense de l’usine centrale électrique.
Les télégrammes chiffrés vont bon train entre l’ambassade de France à Pékin et Hanoi, siège du gouvernement général de l’Indochine. Hong Kong est coincé entre les deux, mais il n’est pas possible d’intervenir. Les Japonais se plaignent de «la compromission active de plusieurs Français notables dans la direction de la propagande anglo-gaulliste à Hong Kong». Le consul figure sur la liste avec le Père Vircondelet, M. de Sercey de l’administration des Postes et le commandant Henrys, retraité de la marine. L’Amiral Decoux, gouverneur général de l’Indochine, ne veut pas froisser les autorités nipponnes: «Tenant compte de la personnalité des intéressés et des intérêts et groupes qu’ils représentent, je pourrais envisager de [les] convoquer moi-même en Indochine dans le but de les éloigner provisoirement de Hong Kong et d’élucider leur cas dans les meilleures conditions». Cosme réplique qu’il vaut mieux laisser les autorités locales aller au bout de leurs soupçons et les laisser prendre les mesures nécessaires, ce pour éviter d’étendre et d’augmenter les exigences japonaises que les deux Français savent pertinemment ne pas être en mesure de rejeter.
En mars 1942, l’occupant nippon ferme tous les consulats et déclare assurer les intérêts des puissances «neutres» ; les diplomates doivent quitter le territoire. Reynaud traîne des pieds et Cosme ne manque pas de remarquer son manque d’empressement pour débarrasser le plancher. «Il ne serait pas opportun que M. Reynaud demeurât à Hong Kong. Il y avait pris, en effet, au regard du gaullisme, une attitude déplaisante, et s’il a été, à l’époque et sur ma suggestion, l’objet de l’indulgence du Département, c’est exclusivement parce qu’il ne pouvait être question de demander au Gouvernement britannique l’exequatur en faveur d’un nouveau consul». Le consul de Hong Kong est dans une position délicate. Il s’en sort en faisant valoir ses droits à la retraite et il obtient des Japonais la permission de rester à Hong Kong en tant que simple particulier. Nouveau revers pour l’ambassade de Pékin qui espérait le voir débarquer en Indochine pour régler quelques comptes.
Toujours consciencieux, Louis Reynaud fait entreposer les archives du consulat dans la banque d’Indochine, pour sauvegarder toutes les informations conformément aux instructions de Pékin. Il donne également ses anciennes tables de chiffrement au consulat de Canton, de même que les timbres officiels et les cachets. Il réclame avec insistance une aide pour deux employés du consulat, un secrétaire annamite et une sténographe française ; ils ont chacun de nombreux enfants et se trouvent maintenant fort démunis. Pour éviter le pillage des locaux et de la résidence consulaire, il déménage et établit ses quartiers dans les deux lieux à la fois. «Il est indispensable que je reste sur place. Cette solution aurait le double avantage de me permettre de veiller moi-même à la conservation et à l’entretien des propriétés de l’Etat et de continuer à m’occuper officieusement des intérêts de nos nationaux et de nos protégés Annamites». Il prend également sous son aile 17 membres de la communauté française, majoritairement des femmes et des enfants, en leur assurant une petite pension.
Cette loyauté à la France et aux valeurs républicaines, et non au gouvernement de Vichy, autant que ce zèle pour maintenir une activité administrative et diplomatique, emmêlent l’image de ce consul dans les tourments trop souvent manichéens de l’Histoire. Louis Reynaud meurt le 6 juillet 1943 sans s’être jamais compromis avec le régime collaborationniste français, mais il n’a jamais été reconnu comme appartenant à la France Libre. Son engagement ferme et ses prises de position courageuses ont sombré dans l’oubli et les bourrasques des années suivantes.

FD.

Sources : archives du ministère des Affaires Etrangères, Nantes.

lundi 20 octobre 2008

La Patrouille de France à Hong Kong

Pour la première fois de son histoire, le 20 octobre 2004 et dans le cadre de l’Année de la France en Chine, la Patrouille de France, une des plus célèbres patrouilles aériennes acrobatiques, effectue une démonstration dans le ciel de Hong Kong. Les appareils de l’Armée de l’Air survolent le port de Victoria puis exécutent une série de figures acrobatiques au large du parc d’attractions Ocean Park, sous les yeux émerveillés de dizaines de milliers de spectateurs.
Créée en 1953, la Patrouille de France, patrouille acrobatique de l’Armée de l’Air, a visité au cours de ses 55 années d’existence plus de trente pays et attiré plus de soixante millions de spectateurs.
En 2004, la Patrouille de France entame le 24 septembre un long périple vers l’Asie, qui la conduit pour la première fois en Chine, où elle séjourne plus de trois semaines. La patrouille de démonstration de l’Armée de l’Air arrive en force, avec dix appareils d’acrobatie de type «Alpha Jet» et trois avions d’accompagnement, un «Falcon 50» et deux quadrimoteurs «Hercules C-130». Soixante-dix militaires, encadrement, pilotes, mécaniciens, logisticiens et spécialistes des relations publiques participent au voyage en Asie.
Arrivée à Pékin le 7 octobre, la Patrouille de France effectue une première présentation en vol dans la capitale chinoise le 10 octobre pour marquer le lancement de l’Année de la France en Chine, première des années croisées France-Chine. C’est un grand événement, malgré le mauvais temps qui règne ce jour-là : c’est en effet la première fois qu’une patrouille aérienne étrangère se produit en Chine. Une deuxième présentation en vol a lieu ensuite le 16 octobre à Wuhan.
Puis, le 17 octobre, la Patrouille de France arrive à Hong Kong et atterrit à l’aéroport de Chek Lap Kok. Les deux journées suivantes sont consacrées au repérage de la topographie de Hong Kong et des zones de démonstration aérienne, avec l’aide du Government Flying Service de Hong Kong. Le mercredi 20 octobre, en milieu de journée, c’est le décollage, la mise en formation puis le survol du port de Victoria. Huit appareils sont utilisés pour ce vol de démonstration. Les deux autre «Alpha Jet» sont en effet tenus en réserve pour pallier toute défaillance mécanique d’un des avions. Le vol au-dessus du port de Victoria se déroule avec mise en service des fumigènes bleus, blancs et rouges. Le spectacle de la formation «en diamant» au dessus de Hong Kong, suivie de son panache tricolore, demeure, aux dires d’heureux témoins, un spectacle inoubliable.
Après le survol de la ville, la Patrouille vire au Sud pour rejoindre l’espace aérien situé à quelques kilomètres du Sud du parc d’attractions Ocean Park. Pas question en effet, pour des raisons de sécurité, d’effectuer des acrobaties au-dessus de la ville! S’ensuit alors, pendant 35 minutes, une époustouflante succession de vingt huit figures acrobatiques aux noms évocateurs, «flèche», «diamant», «T», ou «Concorde», «éclatement», «regroupement», etc., exécutées entre 30 et 1500 mètres au-dessus du niveau de la mer et à des vitesses variant de 200 et 600 km/h! Le public, massé par milliers de spectateurs au parc d’attractions, applaudit ce spectacle exceptionnel, premier du genre à Hong Kong.
Vers 15h, la Patrouille de France atterrit à l’aéroport et achève ainsi sa première apparition à Hong Kong, opération de prestige, médiatique mais aussi diplomatique. Le consul général de France de l’époque, Serge Mostura, déclare ainsi qu’«à l'occasion du 40e anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques entre la France et la Chine, nous sommes très heureux d'amener aux habitants de Hong Kong la Patrouille de France, l'une des meilleures équipes de démonstration du monde qui a toujours joué un rôle diplomatique pour la France».
Le 24 octobre, la Patrouille de France décolle pour Zhuhai, où elle effectue une nouvelle démonstration aérienne lors du salon de l’Aéronautique de la ville, sa dernière en Chine de cette année 2004. Le 27 octobre, la Patrouille quitte en effet la Chine et s’envole pour Hanoi et le Vietnam afin d’y poursuivre son voyage en Asie.

CR.

Sources et crédits photographiques : Armée de l’Air.

jeudi 16 octobre 2008

La France Libre à Hong Kong

Dès l’Appel du 18 juin lancé par le général de Gaulle, le consul de France à Hong Kong et la majorité de la petite communauté française du territoire se rallient à la France Libre. Tous les Français Libres combattent auprès des Britanniques lors de l’invasion de Hong Kong par l’armée japonaise en décembre 1941 et plusieurs meurent au combat. Les survivants de la communauté française subissent ensuite 44 mois d’une occupation éprouvante, jusqu’à au retour des forces britanniques, en septembre 1945.
En septembre 1939, la communauté française de Hong Kong compte environ 120 personnes, essentiellement des marchands et des employés de maisons de commerce, mais aussi des pères missionnaires et des soeurs des différents ordres religieux. La déclaration de guerre et la mobilisation générale n’ont que peu d’influence sur les effectifs de la communauté française, de moyenne d’âge relativement élevée. Mais l’invasion de la France le 10 mai 1940, l’Appel du 18 juin du général de Gaulle et l’inquiétude croissante liée à la menace japonaise (l’armée japonaise occupe Canton en octobre 1938) vont bouleverser la vie des Français de Hong Kong.
Dès le 20 juin 1940, deux jours seulement après l’Appel du 18 juin, le consul de France à Hong Kong, Louis Reynaud, adresse à Londres un télégramme où il fait part de l’indignation «de la colonie française de Hong Kong contre toute idée d’armistice et de paix séparée et [de sa] révolte à la pensée d’une telle trahison vis à vis des alliés et de l’humanité entière qui déshonorerait la France à tout jamais».
Quelques mois plus tard, le 19 septembre 1940, est officiellement créé le «Comité France Libre de Hong Kong», présidé par Lucien Biau, architecte. Le Comité diffuse de la propagande, publie une revue mensuelle, «France Libre», et participe à des émissions de radio diffusées à Hong Kong. Il s’occupe également des Français qui se portent volontaires pour combattre au sein des forces du général de Gaulle et qui ne peuvent s’embarquer à Shanghai pour rejoindre un territoire rallié à la France Libre. Soixante douze volontaires sont ainsi pris en charge par le Comité de Hong Kong, certains provenant d’autres régions de Chine ou d’Asie. Après des luttes d’influence et diverses péripéties, liées entre autres au passé controversé de Lucien Biau, la présidence du Comité de la France Libre de Hong Kong est confiée en mars 1941 à Emile Fouliard, chef d’entreprise et représentant en Chine de firmes d’armement. La vice-présidence revient à Pierre Mathieu, agent à Hong Kong de la compagnie Optong.
En juin 1940, les autorités de la colonie britannique décident de renforcer le dispositif de défense de Hong Kong, la menace japonaise se faisant plus pressante. Le Corps des Volontaires, «Hong Kong Volunteer Defence Corps», est constitué afin d’épauler les troupes régulières dont les effectifs ont été sensiblement réduits depuis fin 1939. Tous les Français ayant adhéré au Comité de la France Libre, une quarantaine, rejoignent ce corps des Volontaires. Un Comité interallié, où siège un représentant de la France, est chargé de surveiller le port afin de lutter contre les sabotages. Les autorités de la colonie décident aussi d’évacuer vers Manille les familles des fonctionnaires civils et militaires et 5600 personnes quittent ainsi le territoire. Certaines familles françaises rejoignent aussi l’Indochine.
Le 8 décembre 1941, un jour après l’attaque de Pearl Harbor, les forces japonaises stationnées dans le Guangdong envahissent Hong Kong. Les Français Libres du Corps des Volontaires participent tous à la défense du territoire, soit au sein des unités combattantes, soit dans la défense passive. Ils se battent aux côtés de soldats de l’Empire britannique, dont ceux de bataillons canadiens qui ont rejoint Hong Kong peu de temps avant l’invasion. Les combats durent jusqu’au 25 décembre et, le jour de Noël, le Gouverneur de Hong Kong, Sir Aitchison, signe l’acte de reddition de la garnison de Hong Kong.
Six Français Libres sont prisonniers de guerre, dont trois volontaires de la marine marchande en transit à Hong Kong alors qu’ils partaient rejoindre la France Libre. Deux combattants sont portés disparus et trois laissent leur vie pendant la bataille. Une stèle, érigée en 1948 au cimetière militaire de Stanley, rappelle leur sacrifice.
La communauté française a peu souffert. Un secrétaire annamite du Consulat de France a été tué dans les combats. Les dégâts matériels sont cependant importants. La Procure et Nazareth ont subi des bombardements aériens et les établissements des sœurs de Saint Paul de Chartres et ceux des Frères des Ecoles chrétiennes ont subi des pillages.
Trois mois après les combats, le 9 mars 1942, le ministère des Affaires étrangères de la France de Vichy décide de fermer le consulat de France à Hong Kong. Le consul Louis Reynaud reçoit alors comme instructions de remettre ses documents secrets, ses sceaux et ses codes de chiffrement au consulat de France à Canton. Le reste des archives, constitué de 18 caisses, est déposé dans les locaux de l’agence de la Banque de l’Indochine à Hong Kong.
Louis Reynaud, qui très tôt a manifesté des sentiments anglophiles et favorables à la France Libre, reçoit ensuite l’ordre de se rendre en Indochine, alors sous administration de Vichy. Mais, atteint par l’âge de la retraite, il demande et obtient l’autorisation de demeurer à Hong Kong. Il s’installe alors au consulat de France afin d’éviter les déprédations des locaux et les vols. Devenu simple particulier, il est cependant considéré par les autorités japonaises d’occupation comme le représentant officieux des intérêts français. En octobre 1942, soixante et onze Français sont encore présents à Hong Kong et certains, placés dans une situation matérielle difficile, sont secourus par l’ancien consul de France. Malade, Louis Reynaud décède à l’hôpital français de Hong Kong le 5 juillet 1943. A la demande du consul de France à Canton et comme l’avait fait avant lui le consul Reynaud, le père Vircondelet, procureur général en Extrême-Orient des Missions Etrangères de Paris, s’installe alors dans les locaux du consulat de France pour éviter le pillage des lieux.
Le petit groupe de Français qui demeure à Hong Kong pendant l’occupation vit dans des conditions difficiles. La capitulation du Japon en août 1945 et le retour des forces britanniques à Hong Kong en septembre mettent fin au calvaire de la population du territoire après quarante quatre mois d’occupation. Le consulat de France réouvre ses bureaux en janvier 1946.

CR.

Sources : archives du ministère des Affaires étrangères, Paris.

lundi 13 octobre 2008

Edmond Cotteau, touriste inopiné à Hong Kong

En 1881, un voyageur français fait escale à Hong Kong dans l’idée de repartir immédiatement pour Canton. Un imprévu l’amène à rester dans la colonie britannique avant qu’une occasion inattendue le conduise ailleurs. Edmond Cotteau voyage ainsi, au gré des rencontres. Entre temps, il pose ses valises et sillonne la ville.
Edmond Cotteau est un grand voyageur ; ni pionnier ni explorateur, il se dit touriste et arpente la Terre de l’Amérique à l’Asie, par simple curiosité intellectuelle. Il laisse des récits vivants et documentés qui lui donnent une solide réputation en son temps. Au début des années 1880, il est chargé par le gouvernement français d’une mission scientifique en Sibérie et au Japon. Il accomplit son devoir avec zèle, puis décide de revenir en Europe par la mer via le Sud-Est de l’Asie. Un périple qui le conduit jusqu’à Hong Kong.
Il vient de Shanghaï à bord du «Yang-Tsé» ; son arrivée dans la colonie britannique est mouvementée. Alors que le navire entre dans le port, on lui montre un grand bateau à vapeur blanc qui chauffe le long du quai. Il s’agit de celui qui assure la liaison quotidienne entre Hong Kong et Canton et qui part, tous les matins, à 6h précise. Edmond Cotteau n’est pas particulièrement attiré par l’île Victoria, mais tient absolument à visiter Canton. Il décide donc de profiter immédiatement de l’occasion. «Mon bagage est prêt ; à peine l’ancre a-t-elle touché le fond que je me précipite dans un sampan. La distance est assez longue, mais mon batelier fait force de rame, et je parviens à toucher le but, juste au moment où retentit le troisième coup de sifflet réglementaire, signal d’un départ imminent. Par malheur, nous avons accosté du côté opposé de la coupée ; rapidement nous faisons le tour du navire ; j’escalade la jetée à l’instant même où se déroulent les amarres. On retire la planche ; je puis encore sauter ; ma valise me retient au rivage, j’hésite une seconde : c’en est assez pour que le fossé, s’élargissant lentement, m’enlève toute possibilité de le franchir, et je reste sur le quai, faisant piteuse figure devant les rires moqueurs des passagers chinois».
Cette seconde d’hésitation laisse notre touriste à Hong Kong. Il n’ira même pas à Canton par la suite. Alors qu’il est encore sur le quai et que le bateau de Canton s’éloigne sans lui, «une nuée de coolies s’était ruée sur mon bagage ; c’était une bousculade, des cris et des gestes dont on n’a pas idée. Je pris le parti héroïque de reconquérir ma malle, à la force du poignet ; puis, m’asseyant dessus en tenant mon sac entre mes jambes, je m’en rapportai pour le reste à la Providence, laquelle ne tarda pas à se manifester sous la forme d’un majestueux policeman hindou, au teint bronzé, aux formes athlétiques. A sa vue, le tapage cesse comme par enchantement ». Le policier est Sikh et Cotteau sympathise avec lui en marmonnant des souvenirs d’hindoustani et en évoquant son voyage en Inde quelques années auparavant.
Une fois installé, le Français commence par se renseigner sur cette destination imprévue et retrace la jeune histoire de la colonie sans omettre un détail peu connu : «Cette île fait partie du groupe des Ladrones (voleurs en portugais), ainsi nommée autrefois par les Portugais de Macao, à cause du penchant de leurs habitants à la piraterie». Et de continuer en s’extasiant sur les choix et les résultats de l’administration britannique : «C’est un des plus magnifiques ports du monde ; entouré de montagnes pittoresques, il réunit dans le même tableau, comme le dit un auteur anglais, l’aspect sauvage des paysages de l’Ecosse à la beauté classique de l’Italie, encore rehaussée par la splendeur de la nature tropicale».
L’historique et les descriptions passés, Edmond Cotteau parle chiffre et s’attarde sur l’impressionnante capacité commerciale de la ville. Il annonce par exemple qu’en 1879, la part du Royaume-Uni dans le commerce de la Chine s’élève à presque 900 millions de francs, dont 545 pour Hong Kong. Le voyageur brocarde au passage la France dont les chiffres sont très loin de ces résultats.
Au petit matin, le touriste arpente les quais et Queen’s road. « Cette rue est fort animée ; de grands magasins européens et chinois étalent leur marchandises de l’Europe et de l’Asie. Les maisons sont ornées d’arcades et de portiques, non seulement au rez-de-chaussée, mais encore aux différents étages : précaution excellente pour intercepter les rayons du soleil et rafraîchir les appartements». Car même si c’est novembre au passage d’Edmond Cotteau, le Français à chaud… très chaud. Dans le port, il observe l’activité des autochtones : «Ici la plupart des sampans sont conduits par des femmes. Comme les hommes, elles portent des fardeaux et rament courageusement, ayant souvent sur leur dos, enveloppé dans un morceau d’étoffe, un bébé dont la tête ballante suit tous leurs mouvements. Le bateau sert de logement à toute la famille ; on y fait la cuisine dans un vase en terre. Des enfants grouillent dans tous les recoins ; hier, dans mon sampan, en levant la planche sur laquelle j’étais assis, j’en ai vu trois, blottis au fond».
Edmond Cotteau découvre la ville depuis les bas-fonds miséreux jusque sur les hauteurs luxueuses du Pic. Ses aventures avec les coolies sont nombreuses : il lui est impossible d’aller où il veut faute de se faire comprendre. Les trajets demandés s’achèvent toujours à une autre destination. Il découvre ainsi le Jardin botanique, «une merveille». «Sur les pentes escarpées, les Anglais ont su créer de belles pelouses d’un gazon toujours vert, et faire croître sur un rocher, autrefois nu et sans eau, les arbres les plus gracieux des tropiques».
Le Français hésite sur sa destination suivante : on lui déconseille fortement les Philippines à cause du choléra et des tracasseries de l’administration espagnole et, alors qu’il essaye d’organiser son escapade vers Canton, un nouvel événement l’en détourne. Lors d’un dîner chez un compatriote négociant du nom de Marty, il rencontre un couple installé depuis plusieurs années à Hai-Phong en Indochine. Ces derniers parlent si bien du Tonkin et des merveilles de leur région que le lendemain matin, Edmond Cotteau est avec eux à bord d’un nouveau navire pour une nouvelle destination… toute aussi imprévue que la précédente.

FD.

Sources : COTTEAU, Edmond, Un touriste dans l’Extrême Orient, Hachette, Paris, 1883.
Remerciements à M. Yves Azémar et son inépuisable librairie d'ouvrages anciens sur l'Asie, 89 Hollywood road - Hong Kong.

jeudi 9 octobre 2008

«Paris Béguin», premier film parlant français diffusé à Hong Kong

Le 10 mai 1933, pour la première fois, un film parlant français est projeté à Hong Kong et la salle de cinéma ne désemplit pas. Pour le consul de France à Hong Kong, c’est un événement pour la France, pour le rayonnement de son industrie du cinéma et pour le prestige de la langue française. A tel point d’ailleurs que, grisé par ce succès et porté par son enthousiasme, le consul oublie dans son rapport à Paris de mentionner le titre du film!
Dès les premières lignes de la dépêche du 12 mai 1933 qu’il adresse au ministre des Affaires étrangères, le consul de France à Hong Kong, Dufaure de la Prade, donne le ton : «Le 10 mai 1933 aura été, pour la cinématographie, un jour faste qu’elle est en droit de marquer d’un caillou blanc. Ce jour-là, pour la première fois, un des cinémas de la place a fait passer sur l’écran un film français, film parlant avec sous-titre en anglais».
Le consul décrit ensuite le succès populaire qu’a rencontré la projection de ce film au cinéma «Central» qui, «au cours des quatre séances consécutives […] n’a pas désempli». Il y a longtemps en effet que le directeur du cinéma «n’avait enregistré une aussi forte recette». Le consul ne doutait pas de la réussite de la projection du film : «Je n’avais cessé de le marquer par avance au cours de mes conversations avec les Directeurs des Etablissements de divertissement de cette ville. […] Je dois avouer que le succès a dépassé mon attente». Dufaure de le Prade prévoyait que «le public hong kongais éprouverait une certaine satisfaction à assister à des séances consacrées à des productions françaises tant pour l’agrément d’entendre un dialogue français […] que pour le plaisir de pouvoir comparer les productions françaises avec les productions étrangères». Le consul de France, du fait du succès de cette première projection de film français parlant à Hong Kong, demande alors au ministère des Affaires étrangères «de bien vouloir adresser un appel à l’industrie cinématographique française pour l’inviter à tenter un effort dans cette colonie anglaise, de concert avec le livre français, en vue du maintien et de la propagation de notre langue à l’étranger».
Plusieurs décennies avant ses successeurs, le consul nous livre ainsi un vibrant plaidoyer en faveur de la Francophonie et de la défense du cinéma français! Il n’omet d’ailleurs pas de mentionner les commentaires élogieux de la presse en anglais mais aussi du «seul journal chinois qui s’occupe des questions cinématographiques», qui «n’a pas caché que le public chinois, à qui il avait été donné pour la première fois d’assister à un film français, a estimé que la production française révélait les qualités supérieures de l’art français».La seule pierre d’achoppement pour le consul provient du documentaire qui précédait la projection du film, «un vieux film de onze ans, […] reproduisant le voyage d’un ancien ministre des Travaux Publics» dans le Lautaret, «sans qu’il n’ait été fait grâce des banquets, […] des discours, celui du Ministre, du Préfet, du Général, du Député, du président du T.C.F.», alors que le film était muet! Le consul a craint «que les spectateurs ne quittassent la salle avant l’apparition du film proprement dit». Il faut certes, faire profiter le public de «Hong Kong, un des grands carrefours de l’univers» de la «propagande touristique, […], traitant de nos beaux paysages, de nos admirables routes, de nos magnifiques stations thermales ou climatiques», mais avec un film «présenté objectivement et non comme une réclame animée».
Le consul de France termine sa lettre en recommandant à ses correspondants parisiens de «trier sur le volet les productions liées à l’exportation», afin «d’apporter au public cosmopolite de Hong Kong […] en même temps que l’expression de nos idées, de nos conceptions et de nos aspirations, le témoignage de nos qualités nationales en matière de théâtre et d’art photographique».
La réponse du ministère des Affaires étrangères à la dépêche enthousiaste du consul est cependant laconique : «Le titre du film ?». Le consul Dufaure de la Prade, grisé par la réussite de cette «première» à Hong Kong, a en effet oublié de préciser le titre du film dans sa dépêche de quatre pages ! Et sa réponse du 26 juillet à la question du ministère est tout aussi laconique mais précise : «Le film était intitulé Paris Béguin». C’est en effet ce film d’Augusto Genina, sorti dans les salles françaises en 1931, qui est projeté à Hong Kong le 10 mai 1933. Fernandel, pour son troisième rôle au cinéma, y interprète un petit truand et Jean Gabin, dans un personnage de cambrioleur, y fait sa première apparition à l’écran.

C.R.
Sources : Archives du ministère des Affaires étrangères, Paris. Crédit photographique : www.web-libre.org

lundi 6 octobre 2008

Les tribulations de Léon Pagès, aspirant diplomatique

En 1849, Léon Pagès, jeune diplomate français en poste à la légation de France à Canton, se rend à Hong Kong en compagnie d’un diplomate espagnol, M. Orenze, tous deux en charge de documents officiels. Leur bateau est assailli par des pirates, danger à l’époque endémique dans la région du delta de la rivière des Perles. Si Léon Pagès survit par chance à l’assaut, le diplomate espagnol disparaît en revanche au cours de ce drame.
Le 18 mars 1849, le jeune Léon Pagès, nommé par décret du 7 décembre 1846 «aspirant diplomatique» à Canton, touche au terme de son voyage à bord de L’Achille et débarque à Hong Kong, chargé de la malle française, ancêtre de ce qui est appelé de nos jours la valise diplomatique. Il en repart la nuit suivante sur la lorcha portugaise n°33, qui fait le trajet entre Hong Kong et Macao, en compagnie de M. Orenze, diplomate espagnol, porteur des dépêches destinées au représentant de Sa Majesté catholique en Chine.
«Vers le minuit», leur embarcation est cernée par trois jonques de pirates chinois «qui la surprennent, l’attaquent et enlèvent tout ce qui se trouve à bord». Il faut ici laisser la parole à la malheureuse victime de cet odieux attentat :
«MM. Pagès et Orenze sont aveuglés, brûlés et étouffés par des pièces d’artifice jetées à profusion dans leur étroite cabine. Armés de lances, les pirates se précipitent sur eux pour les massacrer, M. Pagès lutte énergiquement, il parvient à désarmer l’un de ces brigands, combat pour défendre sa vie, celle de son compagnon et pour sauver, s’il est possible, les dépêches du gouvernement. Toute résistance est inutile et, accablé par le nombre, M. Pagès ne doit son salut qu’à un moyen extrême et d’autant plus désespéré qu’il ne savait nullement nager. Il se précipite dans la mer, est assez heureux pour saisir une corde dans sa chute et reste ainsi plongé dans l’eau et se tenant à cette amarre jusqu’à ce que les pirates aient achevé de piller le bâtiment et se soient retirés. Quand il peut remonter à bord, nulle trace de sang ne s’y remarquait et comme M. Orenze avait disparu dans la lutte et qu’il ne savait pas nager, on n’est que trop porté à croire qu’il a péri en se jetant à la mer, à moins qu’il n’ait été emmené par les pirates dans l’espoir d’obtenir pour sa reddition une riche rançon, comme ils ne font que trop souvent».L’heureux survivant reçoit «à Hong Kong dans son malheur des preuves d’un vif intérêt». Il est recueilli par le navire La Bayonnaise qui, de janvier à février 1849, navigue en mer de Chine pour visiter les ports de Chine ouverts au commerce européen. A son bord se trouve Forth-Rouen, chargé d’affaires en Chine et chef de la légation de France à Canton. C’est lui qui, le 15 juillet 1848, a recommandé au ministère des Affaires étrangères de nommer un agent consulaire à Hong Kong. «Le commandant de La Bayonnaise, à peine arrivé de notre voyage fatiguant dans le Nord, a de nouveau levé l’ancre pour aller prendre M. Pagès et lui offrir les secours des médecins du bord».
Les malheureux Pagès et Orenze sont les premières victimes des pirates chinois depuis l’ouverture de la légation : «[…] un de ces crimes, s’indigne Fort-Rouen, qui, réprouvés et flétris par le code de toutes les nations, fait comme frémir d’indignation toute la nation française en Chine». Le forfait des pirates chinois eut les honneurs d’une mention dans le Journal des débats du 26 mai 1849.
C.R.
Source : Archives du ministère des Affaires étrangères, Paris, DVR. Crédit photographique : HKMM.

jeudi 2 octobre 2008

Francis Vetch, les délires d’un «affairiste porte-poisse»

Homme d’affaire malheureux, entrepreneur malhonnête, mari manipulateur et trompé, touche-à-tout infatigable, Francis Vetch est un personnage baroque dont les aventures suscitent aujourd’hui encore l’amusement et l’incrédulité. Irritant et attachant, il traverse avec agitation la première moitié du XXe siècle ; Hong Kong est son port d’attache.
Dans le billet sur «les petites embrouilles de Rolande Sarrault», nous avons évoqué le rocambolesque Francis Vetch, en promettant de revenir sur cet homme étrange, figure à la fois pathétique et délirante de la communauté française de Hong Kong. Au-delà du simple récit, l’idée est de montrer une tranche de vie, certes colorée, de l’existence de ceux qui partent à l’autre bout du monde pour ne rien réussir, du moins honnêtement… L’échec est le quotidien de beaucoup, même si l’Histoire ne retient souvent que ceux qui font fortune.
Francis Vetch est l’archétype du «looser», selon l’anglicisme à la mode aujourd’hui. Son histoire commence par un coup de théâtre, au sens propre comme au figuré. Alors qu’il part de Marseille vers la Chine avec sa famille, en avril 1900, sa femme Rosalie rencontre sur le paquebot un jeune diplomate qui rejoint sa nouvelle affectation. Il s’agit de Paul Claudel… qui devient son amant. Cette histoire inspirera au dramaturge le «Partage de Midi» ; Francis Vetch y étant le personnage de De Cys.
Marie-Josèphe Guers, dans son roman La maîtresse du Consul, décrit Francis Vetch comme un aventurier combinard dont la femme, complice active, se lasse des petites arnaques et autres inventions malhonnêtes. D’origine réunionnaise, né à Saint-Denis en 1862, Francis Vetch a rejoint l’Europe le temps d’avoir de nombreux démêlés avec la justice et de se marier avec Rosalie, que certaines sources disent être la fille d'un noble polonais et d'une Ecossaise, noble également. Ils ont quatre enfants et embarquent pour la Chine au début du siècle ; Vetch pense faire fortune à Fou-Tchéou.
L’histoire d’amour entre Rosalie et le jeune diplomate semble construite de toute pièce en vue de manipuler Paul Claudel. Rosalie Vetch tombe toutefois sous le charme du Consul et une fougueuse passion de quatre ans commence alors, tandis que Francis Vetch s’éloigne, déjà perdu dans les confins de l’Empire à entreprendre quelques affaires plus ou moins légales. Un billet sur Paul Claudel reviendra prochainement sur cette période : il y a en effet un lien entre les deux amants et Hong Kong.
Après d’innombrables déboires et un passage par l’Europe et un divorce, Francis Vetch s’installe à Hong Kong. Marie-Anne Lescouret, biographe de Claudel, qualifie notre anti-héros «d’affairiste porte-poisse», au regard des descriptions qu’en fait le dramaturge. Le personnage ne change pas après la Grande Guerre. Il est négociant en charbon à Shanghaï, libraire pourchassé par les Jésuites à Tientsin, brocanteur associé à un Russe à Pékin, fabricant de contrefaçon de parfum à Tientsin. On le retrouve toujours dans les papiers du Consulat de Hong Kong, en éternel trublion.
Le Consul part à la recherche de sa famille et reçoit une fin de non-recevoir de la part d’un des enfants, Gaston, installé à Genêve. «Mon père a toujours voulu essayer de monter des affaires plus ou moins hasardeuses, en empruntant de l’argent soit à la famille, soit à des étrangers : mon frère cadet a du reste été presque ruiné par lui». Il enfonce le clou en expliquant qu’il a été abandonné et a dû se débrouiller sans son père. «Je ne me considère ni juridiquement, ni moralement tenu à lui venir en aide». Et de conseiller à son frère aîné d’empêcher leur père «d’encourir des dettes ou d’emprunter de l’argent pour d’autres opérations financières qui, d’après l’expérience, ne pourraient être que désastreuses».
Hélas, on peut suivre Francis Vetch à la trace en Asie, avec toutes les dettes qu’il laisse, entre autres dans les hôtels… Les directeurs adressent des plaintes au Consul de France à Hong Kong pour qu’il intervienne. Le diplomate se trouve désarmé face à un tel phénomène. Francis Vetch répond toujours par des courriers extravagants. Au propriétaire du Metropol qui lui a confisqué son passeport : «Tout homme, Monsieur, a le droit de vivre. Je ne vous reconnais pas le pouvoir de m’enlever le pain de la bouche». Les formules sont toujours ampoulées et le ton dramatique confine au comique. A peine une affaire est-elle réglée qu’une autre éclate. Le livret de pension de Francis Vetch est confisqué par un hôtel, qu’importe… le forban écrit au Président de l’association des Pères et Mères de famille qui ont perdu des enfants à la guerre pour lui donner pouvoir d’encaisser l’argent sur place à Paris et au bénéfice de l’association. Une générosité en forme de pied de nez à ses créanciers.
Rien n’arrête Francis Vetch. Les innombrables échecs de sa triste carrière n’ont jamais fait trembler sa détermination et son assurance… C’est sûrement ce qui rend attachant cette personne si souvent détestable par ses activités. En 1938, lorsque le Consul envisage son rapatriement en France, la réponse est digne d’une tragédie grecque : «Je m’incline devant pareil scandale et me déclare vaincu. Veuillez me considérer comme un prisonnier qui se rend et qui ne demande qu’à être traité humainement en considération de son grand âge, surtout du fait que sur trois fils, qui ont combattu toute la dernière guerre, un a versé son sang pour la France. Faîtes vite ce que vous avez à faire». Ce sur quoi il prend la fuite à Macao et fait désormais adresser ses factures directement au Consulat de France.
Un peu plus tard, le Consul ne cache pas son soulagement lorsque les Pères Salésiens acceptent d’héberger Francis Vetch, à condition qu’il se conforme aux règles de la maison. Son fils aîné Robert, membre de la congrégation italienne, le prend en charge pour mettre fin à «cette douloureuse odyssée». Mais le septuagénaire décide de mettre à profit cette retraite monastique pour rédiger un ouvrage sur… le fascisme en Italie, qui n’est évidemment pas du goût des Pères. Retour à Hong Kong.
Le 4 septembre 1939, à 77 ans, il déclare dans une lettre : «je me considère comme mobilisé au même titre que mes trois fils. Vous pouvez donc, en toutes circonstances faire appel à mon dévouement pour la France».
L’une des dernières bravades de Francis Vetch est inattendue. En avril 1940, il crée la première librairie française de Hong Kong. The Hong Kong French bookstore est situé au 1 Bonham road. L’escroc fait imprimer un ouvrage intitulé «Ralliez-vous à mon panache blanc» et quelques autres œuvres dramatiques et historiques, qu’il ne paiera jamais à son fournisseur. A nouveau poursuivi par ses créanciers, il quitte quelques temps la colonie britannique pour, dit-il «une entreprise d’importation et de réexportation de produits Chinois et Français à Kouang-Tchéou-Wan», une possession française également appelée Fort-Bayard. C’est là, en 1941, que le Consulat perd sa trace…

FD.

Sources : Archives du ministère des Affaires Etrangères, Nantes ; Marie-Josèphe Guers, La maîtresse du Consul, Albin Michel, 2000 ; Marie-Anne Lescourret, Claudel, Flammarion, 2003.
Crédits photographiques : Marie-Josèphe Guers, collection particulière. Photo prise en 1900 à Fou-Tchéou. Francis Vetch, alors âgé de 38 ans, est à gauche. Sa femme Rose et l’un de leurs enfants sont assis devant. Derrière, Paul Claudel.