jeudi 16 avril 2009

La famille Wang mêle cinéma et francophilie depuis 50 ans

Producteur, équipementier, distributeur… Salon Films touche à tous les métiers du cinéma à Hong Kong depuis presque 50 ans. Son fondateur, T.C. Wang, et ses deux fils, ont une autre passion : la culture française. Et ils n’ont jamais manqué une occasion d’accueillir un tournage de film français. Fred Wang revient sur ces collaborations.
«Mon père était attiré par la France, grand pays de l’art selon lui, raconte Fred Wang. Le mot «salon» l’inspirait beaucoup sans qu’il sache sa signification exacte à l’époque. Cela résonnait avec le salon des arts de Paris, et évoquait pour lui de nombreuses images ; c’était classieux. C’est cette touche française qu’il a retenu pour créer le nom de son entreprise». Ainsi naît Salon films, au début en 1959. «Le premier film sur lequel il a travaillé était Le monde de Suzie Wong». Le long-métrage américain de Richard Quine, avec William Holden et Nancy Kwan, est un véritable succès et permet d’asseoir la petite société naissante.
L’activité principale de Salon films est de fournir des équipements sur les plateaux de tournage. L’entreprise s’est également diversifiée dans la production et la distribution des œuvres cinématographiques. «Nous avons toujours proposé de nombreux services, techniques ou financiers, pour le cinéma, explique le dirigeant. Et nos collaborations avec la France ont été nombreuses!» A commencer par la société Pathé-Overseas de Georges Le Bigot, dont nous avons déjà parlé. «Nous l’avons bien connu, il était devenu un ami proche».
En 1974, Bons baisers de Hong Kong, le film des Charlots, est l’une des premières occasions de tournage franco-hongkongais. Le frère de Fred Wang, Charles, était alors en charge du dossier. «Il y avait de très fortes différences culturelles entre les techniciens Français et ceux Hongkongais. Il y avait souvent des quiproquos et la mise en place du travail n’était pas toujours facile». Les cascades ont donné lieu à de drôles de situations. «Les Français avaient des exigences auxquelles les équipes d’ici n’étaient pas prêtes, s’amuse encore Fred Wang. Depuis, nos cascadeurs se sont nettement améliorés!»
Globalement, les Français arrivaient très relaxés sur les tournages car «beaucoup de lois leur permettent le repos et la tranquillité. Les équipes de Hong Kong, à l’inverse, n’ont pas les mêmes avantages sociaux et doivent toujours être sur la brèche». Fred Wang n’était pas étonné plus que de raison par ces différences. «En 1965, je suis parti en France en tant qu’étudiant, se souvient-il. J’ai effectué un long stage à l’ORTF ! J’ai vécu des moments formidables!»
Charles Wang, son frère aîné, suivait de très près tous les dossiers de tournages français, en facilitant du mieux possible les réalisations. Il en a d’ailleurs été récompensé avec la distinction de chevalier de l’ordre des arts et des lettres. Pour les Anges gardiens en 1994, l’équipe de Jean-Marie Poiré cherchait en vain un lieu de tournage. Charles Wang a proposé le siège social de Salon films, sur Devon road à Kowloon Tong… pour servir de décor au film.«Je me souviens également que le tournage d’Emmanuelle 2 [en 1975] nous a donné quelques soucis du point de vue technique: nous avions fait venir des caméras américaines toutes neuves, reprend Fred Wang. C’était la première fois que les Français les utilisaient et elles sont tombées en panne. Nous avons dû organiser une réparation à distance par téléphone avec les USA… en 1975, ce n’était pas aussi facile qu’aujourd’hui!».
Et Fred Wang d’évoquer encore et avec nostalgie toutes ces années de relations, des Charlots à Coluche (pour Banzaï en 1983), jusqu’au passage plus récent d’Alain Delon. «Nous avons accueilli Alain Delon pendant ses vacances, en 1997, il est célèbre en Chine pour Zorro, explique l’entrepreneur. D’ailleurs, lors de sa venue, il a même été question de faire un remake de ce film!» Les projets de Salon films sont nombreux et Fred Wang est toujours occupé. Au sujet d’une nouvelle collaboration avec la France? «Pourquoi pas, évidemment… Il est vrai que c’est un peu plus calme depuis quelques années, mais nous sommes toujours prêts».

FD.

Sources et crédits photographiques : merci à M. Fred Wang pour le temps qu’il nous a consacré, et pour les documents qu’il a bien voulu mettre à notre disposition.

Légendes des photos, de haut en bas: A, les frères Wang autour de leur père, Charles à gauche et Fred à droite; B, Sylvia Kristel sur le tournage de Emmanuelle 2 à Hong Kong; C, Alain Delon lors de son passage dans la famille Wang.

jeudi 9 avril 2009

Henry Litton, 50 ans de francophonie à Hong Kong

Juriste reconnu, Henry Litton est aussi un francophile invétéré. Il a été président de l’Alliance française de Hong Kong pendant quinze ans. Charmant et discret, il revient avec modestie sur cinquante ans de passion pour la culture et la langue françaises.
Henry Litton est issu d’une famille eurasienne de Hong Kong. Il a fait ses études au Royaume-Uni dans les années 1950. Le premier contact avec la France a lieu en 1958. «J’étais étudiant en Droit, et je suis parti à l’université de Grenoble pendant trois mois, se souvient le juriste. Nous étions plusieurs dans une superbe maison sur la route Napoléon [surnom de la nationale 85]». Et de confesser: «C’était plus un séjour pour profiter de la vie en France et découvrir le pays que pour suivre des études! C’était en hiver, et j’ai d’excellents souvenirs».
De retour à Hong Kong, Henry Litton construit une brillante carrière, d’abord dans un cabinet privé, puis au service de l’Etat. Il n’oublie pas ses passions et entre au comité de l’Alliance Française en 1971. «Le directeur de l’époque, François Hudelot, était un grand ami, passionné de voile tout comme moi, souligne Henry Litton. Il est arrivé en 1967 et a organisé le premier réseau de l’Alliance à Hong Kong». Le juriste se souvient d’une Alliance française toujours en ébullition. «Les milieux étudiants étaient plus actifs qu’aujourd’hui dans les années 1970, il y avait fréquemment des grèves et les jeunes professeurs français qui venaient étaient souvent de gauche radicale: c’était agité!» C’est aussi une période de croissance des effectifs et le centre s’agrandit avec des locaux à Kowloon.
En octobre 1985, le juge devient président de l’Alliance Française de Hong Kong, fonction qu’il occupera jusqu’en 2000. Quinze années riches en événements pour l’ancienne colonie britannique. «Depuis 1984, nous savions que la rétrocession aurait lieu… Est ensuite venue la période de Tien An Men, et il y avait donc une grande agitation sociale ; les gens étaient très inquiets». Le Canada offre alors de nombreuses opportunités d’immigration. «Parler Français représentait un avantage certain dans les dossiers, et nos effectifs ont donc pris une ampleur considérable, s’étonne encore l’ancien président. Nous sommes devenus la plus grande Alliance française du monde par le nombre d’étudiants, avec six centres et 12 000 inscrits chaque année…»
Henry Litton laisse ensuite ces lourdes charges à d’autres, mais continue à se passionner pour la culture française: «Je suis abonné à des revues pour suivre les nouveautés, et j’ai toujours un livre en Français en cours…». Dernier en date, la saga historique Fortune de France de Robert Merle. Cette passion pour la France s’est transmise à la famille: «ma fille s’est même mariée à un Français! Elle vit maintenant près de Béziers; c’est pour moi l’occasion de visiter davantage le pays».
Pour son travail et son investissement pour le rayonnement de la francophonie, Henry Litton a été fait chevalier de l’Ordre national du mérite puis, en 1999, chevalier de la Légion d’honneur. Juriste reconnu à Hong Kong et célèbre dans sa profession, Henry Litton est aujourd’hui juge honoraire à la Cour d’appel final ; le tribunal en question est situé dans l’ancien bâtiment de la procure des Missions étrangères de Paris, sur Battery path à Central. La francophonie peut avoir de la suite dans les idées…

FD.

Sources : remerciements à M. Henry Litton pour ses informations et le temps qu’il nous a consacré ; www.encyclopediefrancaise.com; Alliance Française de Hong Kong.

jeudi 2 avril 2009

1844, le premier homme d’affaire français à Hong Kong

Auguste Haussmann est un commerçant alsacien. En 1844, il rejoint la mission Lagrené qui a pour objectif d’établir des relations durables entre la Chine et la France. Ses responsabilités portent tout particulièrement sur l’observation des débouchés potentiels de l’industrie française dans l’Empire du Milieu. Lors de son passage à Hong Kong, il propose une approche nuancée de l’avenir de la colonie britannique.
Avec la première guerre de l’opium (1839-1842), l’Angleterre force la Chine à s’ouvrir politiquement et économiquement. «Par une générosité dont sa politique séculaire offre peu d’exemples, et qui, pour cela même, doit paraître équivoque, [l’Angleterre] avait stipulé au profit de toutes les nations.» Auguste Haussmann est clair dès l’introduction de son ouvrage: l’altruisme britannique est douteux, il faut s’en affranchir en établissant avec la Chine des relations durables au nom du gouvernement français… C’est l’objet de la mission du ministre plénipotentiaire Lagréné, en 1844.
Auguste Haussmann rejoint en cours de route les membres du corps diplomatique. C’est un homme d’affaire alsacien, envoyé par la chambre de commerce de Mulhouse pour s’occuper de la partie économique et vanter les produits français. Plus spécialement, il représente l’industrie textile de sa région. Son ouvrage «Voyage en Chine, Cochinchine, Inde et Malaisie» est empreint de beaucoup de rigueur et diffère des écrits de l’époque. Il s’agit plus de rendre compte avec précision de sa mission que de proposer rêve et évasion par le biais d’un récit exotique. Les anecdotes et le peu de descriptions ont toujours pour objectif d’illustrer ou de prouver les analyses de cet attaché commercial.
En février 1844, il embarque sur «l’Archimède» commandé par le capitaine Pâris. Il s’agit, pour la petite histoire, du premier navire français à vapeur à doubler le cap de Bonne-Espérance. Après de longues et nombreuses escales, Haussmann arrive à Macao en août. Avec ses collègues, il expose les produits de l’industrie française à Macao et Canton… sans grand succès. C’est donc un homme d’affaire quelque peu désabusé qui arrive à Hong Kong, d'autant que dans le delta de la rivière des perles, le navire a échappé de justesse à une attaque de pirates.
Il semble assez peu enclin à voir ce qui est positif autour de lui et sa description de la baie est vite expédiée. Pas d’émerveillement sur le spectacle qui s’offre à lui, mais ces remarques: «On lui [Hong Kong] reproche […] de laisser quelque prise à certains vents, vers la partie septentrionale, et, par contre, d’être trop encaissée au Sud par les montagnes, ce qui empêche la brise de Sud-Ouest de venir assainir l’air pendant la saison des grandes chaleurs.» L’expédition accoste et visite l’île. «En pénétrant dans l’intérieur, on rencontre une suite de collines arides et de petites vallées où croissent quelques arbres, de hautes herbes et des ignames. On aperçoit aussi, de temps en temps, des rizières arrosées par les nombreux ruisseaux qui descendent des montagnes, et qui ont fait donner à Hong Kong le nom beaucoup trop poétique d’île aux ruisseaux odorants. L’aspect général du pays est triste, sauvage, et sa surface fort inégale.»
Auguste Haussmann remarque quelques beaux bâtiments dans la petite ville anglaise de Victoria, et souligne qu’on «apercevait des édifices en constructions, des rues qui s’alignaient à travers des quartiers naissants et qui portaient déjà les noms des principaux fonctionnaires de la colonie, rues larges, aérées, où l’on se trouve presque en Europe au milieu des Chinois». Le voyageur semble se laisser impressionner à mesure qu’il découvre le centre, de Queen’s road jusqu’au palais du gouverneur, mais la critique reprend le dessus rapidement au sujet de l’insalubrité du climat et des très nombreuses fièvres qui déciment la population.
Plus longuement, l’homme d’affaire dresse le premier état des lieux économique de la colonie du point de vue français. Il explique que les ports chinois environnants envoient chaque mois «une soixantaine de gros bateaux marchands, qui y apportent [à Hong Kong] les vivres nécessaires aux habitants, et s’en retournent avec un petit chargement de long-cloths et d’autres produits de l’industrie européenne.» Le commerce du sel est important et Haussmann rappelle que c’est «un monopole très lucratif pour le gouvernement [chinois], et qu’il donnait lieu, depuis quelque temps, à une contrebande des plus actives. Les jonques qui l’apportent à Hong Kong, prennent en retour de l’opium et d’autres articles, qui se débitent dans les boutiques de la ville de Victoria.» Le spécialiste détaille ensuite quels produits viennent de telle ou telle région et s’interroge sur «le grand mystère» qui entoure le commerce avec les villes de Kit-Yeo et Haï-Yeo.
L’Alsacien note que c’est le commerce d’escale qui a le plus d’importance à Hong Kong. Les Anglais ont donc su rendre leur port incontournable et ce, en quelques années. C’est une information importante pour la mission Lagrené et l’homme d’affaire se lance dans des énumérations de chiffres pour montrer à quel point ce commerce est essentiel pour la colonie britannique. Il analyse également les causes de cet établissement colonial : la décadence de Macao vient en premier lieu car, pour le Français, «si [Macao] eut été déclaré port libre en temps utile, les Anglais n’auraient sans doute jamais songé à aller habiter Hong Kong» ; suivent l’efficacité militaire des Anglais et le système administratif chinois déplorable, particulièrement celui des douanes.
Tout en froideur, Auguste Haussmann ne prête guère attention à l’attrait de l’île et au spectacle qu’offre la colonie. Contrairement à ce que reconnaissent tous les voyageurs de passage après lui, «cette île n’est ni assez peuplée, ni assez fertile, ni assez convenablement située, pour pouvoir devenir un marché important». La suite lui donne tort a priori, mais il ajoute une précision utile qui fait peut-être de lui un habile visionnaire. Hong Kong ne se développera pas, «aussi longtemps que Canton et les quatre ports du Nord seront ouverts aux navires étrangers.» Et si l’histoire tourmentée de la Chine était la chance de la colonie britannique? C’est ce qu’avance Haussman en précisant: «Aujourd’hui [Hong Kong] n’est, en quelque sorte, que la sauvegarde des négociants européens établis en Chine, un lieu de refuge en cas de guerre, et un établissement militaire formidable» ; mais dans l’optique d’une brouille des relations sino-européennes, l’envoyé français voit déjà «la possession britannique se changer en un entrepôt considérable.»
En guise de bilan, l’attaché commercial reconnaît finalement que «partout ici la main de l’homme a triomphé de la nature rebelle.» Et de finir sur cette note positive : «Hong Kong est le plus beau monument de gloire qu’ait pu s’ériger l’Angleterre commerçante et maritime!».

FD.

Sources et crédits photographiques : Auguste HAUSSMANN, Voyage en Chine, Cochinchine, Inde et Malaisie, 3 volumes, 1848 ; Numa BROC, Dictionnaire illustré des explorateurs français du XIXe siècle, 1992. Remerciements à M. Yves Azémar et son inépuisable librairie d'ouvrages anciens sur l'Asie, 89 Hollywood road - Hong Kong.