jeudi 2 avril 2009

1844, le premier homme d’affaire français à Hong Kong

Auguste Haussmann est un commerçant alsacien. En 1844, il rejoint la mission Lagrené qui a pour objectif d’établir des relations durables entre la Chine et la France. Ses responsabilités portent tout particulièrement sur l’observation des débouchés potentiels de l’industrie française dans l’Empire du Milieu. Lors de son passage à Hong Kong, il propose une approche nuancée de l’avenir de la colonie britannique.
Avec la première guerre de l’opium (1839-1842), l’Angleterre force la Chine à s’ouvrir politiquement et économiquement. «Par une générosité dont sa politique séculaire offre peu d’exemples, et qui, pour cela même, doit paraître équivoque, [l’Angleterre] avait stipulé au profit de toutes les nations.» Auguste Haussmann est clair dès l’introduction de son ouvrage: l’altruisme britannique est douteux, il faut s’en affranchir en établissant avec la Chine des relations durables au nom du gouvernement français… C’est l’objet de la mission du ministre plénipotentiaire Lagréné, en 1844.
Auguste Haussmann rejoint en cours de route les membres du corps diplomatique. C’est un homme d’affaire alsacien, envoyé par la chambre de commerce de Mulhouse pour s’occuper de la partie économique et vanter les produits français. Plus spécialement, il représente l’industrie textile de sa région. Son ouvrage «Voyage en Chine, Cochinchine, Inde et Malaisie» est empreint de beaucoup de rigueur et diffère des écrits de l’époque. Il s’agit plus de rendre compte avec précision de sa mission que de proposer rêve et évasion par le biais d’un récit exotique. Les anecdotes et le peu de descriptions ont toujours pour objectif d’illustrer ou de prouver les analyses de cet attaché commercial.
En février 1844, il embarque sur «l’Archimède» commandé par le capitaine Pâris. Il s’agit, pour la petite histoire, du premier navire français à vapeur à doubler le cap de Bonne-Espérance. Après de longues et nombreuses escales, Haussmann arrive à Macao en août. Avec ses collègues, il expose les produits de l’industrie française à Macao et Canton… sans grand succès. C’est donc un homme d’affaire quelque peu désabusé qui arrive à Hong Kong, d'autant que dans le delta de la rivière des perles, le navire a échappé de justesse à une attaque de pirates.
Il semble assez peu enclin à voir ce qui est positif autour de lui et sa description de la baie est vite expédiée. Pas d’émerveillement sur le spectacle qui s’offre à lui, mais ces remarques: «On lui [Hong Kong] reproche […] de laisser quelque prise à certains vents, vers la partie septentrionale, et, par contre, d’être trop encaissée au Sud par les montagnes, ce qui empêche la brise de Sud-Ouest de venir assainir l’air pendant la saison des grandes chaleurs.» L’expédition accoste et visite l’île. «En pénétrant dans l’intérieur, on rencontre une suite de collines arides et de petites vallées où croissent quelques arbres, de hautes herbes et des ignames. On aperçoit aussi, de temps en temps, des rizières arrosées par les nombreux ruisseaux qui descendent des montagnes, et qui ont fait donner à Hong Kong le nom beaucoup trop poétique d’île aux ruisseaux odorants. L’aspect général du pays est triste, sauvage, et sa surface fort inégale.»
Auguste Haussmann remarque quelques beaux bâtiments dans la petite ville anglaise de Victoria, et souligne qu’on «apercevait des édifices en constructions, des rues qui s’alignaient à travers des quartiers naissants et qui portaient déjà les noms des principaux fonctionnaires de la colonie, rues larges, aérées, où l’on se trouve presque en Europe au milieu des Chinois». Le voyageur semble se laisser impressionner à mesure qu’il découvre le centre, de Queen’s road jusqu’au palais du gouverneur, mais la critique reprend le dessus rapidement au sujet de l’insalubrité du climat et des très nombreuses fièvres qui déciment la population.
Plus longuement, l’homme d’affaire dresse le premier état des lieux économique de la colonie du point de vue français. Il explique que les ports chinois environnants envoient chaque mois «une soixantaine de gros bateaux marchands, qui y apportent [à Hong Kong] les vivres nécessaires aux habitants, et s’en retournent avec un petit chargement de long-cloths et d’autres produits de l’industrie européenne.» Le commerce du sel est important et Haussmann rappelle que c’est «un monopole très lucratif pour le gouvernement [chinois], et qu’il donnait lieu, depuis quelque temps, à une contrebande des plus actives. Les jonques qui l’apportent à Hong Kong, prennent en retour de l’opium et d’autres articles, qui se débitent dans les boutiques de la ville de Victoria.» Le spécialiste détaille ensuite quels produits viennent de telle ou telle région et s’interroge sur «le grand mystère» qui entoure le commerce avec les villes de Kit-Yeo et Haï-Yeo.
L’Alsacien note que c’est le commerce d’escale qui a le plus d’importance à Hong Kong. Les Anglais ont donc su rendre leur port incontournable et ce, en quelques années. C’est une information importante pour la mission Lagrené et l’homme d’affaire se lance dans des énumérations de chiffres pour montrer à quel point ce commerce est essentiel pour la colonie britannique. Il analyse également les causes de cet établissement colonial : la décadence de Macao vient en premier lieu car, pour le Français, «si [Macao] eut été déclaré port libre en temps utile, les Anglais n’auraient sans doute jamais songé à aller habiter Hong Kong» ; suivent l’efficacité militaire des Anglais et le système administratif chinois déplorable, particulièrement celui des douanes.
Tout en froideur, Auguste Haussmann ne prête guère attention à l’attrait de l’île et au spectacle qu’offre la colonie. Contrairement à ce que reconnaissent tous les voyageurs de passage après lui, «cette île n’est ni assez peuplée, ni assez fertile, ni assez convenablement située, pour pouvoir devenir un marché important». La suite lui donne tort a priori, mais il ajoute une précision utile qui fait peut-être de lui un habile visionnaire. Hong Kong ne se développera pas, «aussi longtemps que Canton et les quatre ports du Nord seront ouverts aux navires étrangers.» Et si l’histoire tourmentée de la Chine était la chance de la colonie britannique? C’est ce qu’avance Haussman en précisant: «Aujourd’hui [Hong Kong] n’est, en quelque sorte, que la sauvegarde des négociants européens établis en Chine, un lieu de refuge en cas de guerre, et un établissement militaire formidable» ; mais dans l’optique d’une brouille des relations sino-européennes, l’envoyé français voit déjà «la possession britannique se changer en un entrepôt considérable.»
En guise de bilan, l’attaché commercial reconnaît finalement que «partout ici la main de l’homme a triomphé de la nature rebelle.» Et de finir sur cette note positive : «Hong Kong est le plus beau monument de gloire qu’ait pu s’ériger l’Angleterre commerçante et maritime!».

FD.

Sources et crédits photographiques : Auguste HAUSSMANN, Voyage en Chine, Cochinchine, Inde et Malaisie, 3 volumes, 1848 ; Numa BROC, Dictionnaire illustré des explorateurs français du XIXe siècle, 1992. Remerciements à M. Yves Azémar et son inépuisable librairie d'ouvrages anciens sur l'Asie, 89 Hollywood road - Hong Kong.

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